
C’est ainsi que Dom Guéranger, le célèbre Père Abbé de Solesmes, à l’occasion de la fête de saint Cyrille d’Alexandrie (9 février), parle des mauvais pasteurs.
Citons en entier le paragraphe :
« Quand le pasteur se change en loup, c’est au troupeau à se défendre tout d’abord. Régulièrement sans doute la vérité descend des évêques au peuple fidèle, et les sujets dans l’ordre de la foi n’ont point à juger leurs chefs. Mais il est dans le trésor de la révélation des points essentiels, dont tout chrétien par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligée. Le principe ne change pas, qu’il s’agisse de croyance ou de conduite, de morale ou de dogme. Les trahisons pareilles à celles de Nestorius sont rares dans l’Église ; mais il peut arriver que des pasteurs restent silencieux, pour une cause ou pour l’autre, en certaines circonstances où la religion même serait engagée. Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l’inspiration d’une ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent pour courir à l’ennemi ou s’opposer à ses entreprises, un programme qui n’est pas nécessaire et qu’on ne doit point leur donner. »
Quelle est la circonstance qui a poussé Dom Guéranger à écrire de telles phrases, d’une portée lourde de conséquences ?
C’est l’hérésie de Nestorius, évêque et patriarche de Constantinople qui ravageait la sainte Église et la foi des fidèles. Il soutenait que Marie n’était point Mère de Dieu ; les bons fidèles étaient scandalisés dans leur Foi. Nestorius avait une telle autorité sur ses confrères dans le sacerdoce et l’épiscopat que ceux-ci se taisaient, n’osant le contredire.
Ce fut Cyrille, évêque d’Alexandrie qui se leva le premier et qui informa le pape saint Célestin Ier de l’hérésie de Nestorius. Le pape le condamna et chargea Cyrille de déposer l’hérésiarque en son nom.
Cyrille présida le concile d’Éphèse par ordre du saint pape, au cours duquel Nestorius fut condamné solennellement en son absence, et déposé de son siège.
Lisons bien la façon dont le peuple chrétien accueillit la sentence du concile. Dom Guéranger s’en fait le rapporteur fidèle[1] : « Délégué par Célestin, il présida le concile d’Éphèse dans lequel l’hérésie nestorienne fut proscrite entièrement, Nestorius condamné et déposé de son siège ; le dogme catholique d’une seule et divine personne dans le Christ et de la maternité divine de la glorieuse Vierge Marie fut affirmé par l’assemblée aux applaudissements de tout le peuple qui, transporté d’une joie incroyable, reconduisit les évêques dans leur maison avec des torches allumées. »
[1] Année liturgique, tome 4, P. 329

Il se trouve aujourd’hui des personnes, et non des moindres, qui falsifient l’Histoire de l’Église. François, sur le siège de Pierre, en fait partie.
Nos lecteurs savent qu’au mois d’octobre 2023 s’est tenu un synode : le « Synode de la synodalité ».
Voici l’une des conclusions apportées (voir en note à la fin de ce paragraphe la source de notre rapport) :
« Le consensus des fidèles constitue un critère sûr pour déterminer si une doctrine ou une pratique particulière appartient à la foi apostolique. » (I, 3, c)
Voilà le « peuple de Dieu » qui devient l’Église enseignante. Dans le discours qu’il a prononcé au Synode le 26 octobre lors de la 18e congrégation générale, le pape François a tenu à manifester son soutien total à cette proposition :
« J’aime à penser à l’Église comme ce peuple simple et humble qui marche en présence du Seigneur, le peuple fidèle de Dieu. (…) L’une des caractéristiques de ce peuple fidèle est son infaillibilité ; oui il est infaillible in credendo.
Il me vient à l’esprit une image : le peuple fidèle réuni à l’entrée de la cathédrale d’Éphèse. L’histoire, ou la légende, raconte que les gens qui se trouvaient des deux côtés de la rue vers la cathédrale, tandis que les évêques faisaient leur entrée en procession, et ils répétaient en chœur « Mère de Dieu » en demandant à la hiérarchie de déclarer dogme cette vérité qu’ils possédaient déjà comme peuple de Dieu. Certains disent qu’ils avaient en main des bâtons et les montraient aux évêques. Je ne sais pas si c’est une histoire ou une légende, mais l’image est bonne. (…) Nous, membres de la hiérarchie, provenons de ce peuple et avons reçu la foi de ce peuple, en général de leurs mères et grand-mères, « ta mère et ta grand-mère » dit Paul à Timothée une foi transmise en dialecte féminin.
Le pape François réécrit l’histoire dans son sens. Ce n’est pas avant la proclamation du dogme de la maternité divine que les habitants d’Éphèse se dirigeaient vers la cathédrale pour convaincre les évêques (avec des bâtons ?) de définir cet article de foi ; mais après avoir appris la définition et pour les acclamer. Ceci se trouve dans n’importe quelle histoire de l’Église.
Quant au sens de la foi, sensus fidei, il existe bien chez le fidèle, causé et par la lumière de la foi elle-même et par le Saint-Esprit – par le don de science -, lorsque le fidèle est en état de grâce. Ce sens de la foi lui permet de reconnaître si une doctrine est conforme ou non à l’enseignement du magistère. Mais ce n’est pas lui qui dicte au magistère ce qu’il doit enseigner. »[1]
« Quand le pasteur se change en loup »… nous le vérifions encore, hélas…
Saint Cyrille d’Alexandrie avait pour mot d’ordre : « C’est l’amour du vrai qui conduit à la vie. » Faisons nôtre cette devise !
Abbé Dominique Rousseau
29 janvier 2024, en la fête de saint François de Sales
[1] Revue Le Sel de la terre, n° 126, automne 2023 : « Le Synode sur la synodalité », par le Père Marie-Dominique, p. 120 – 121