
Les hommes se divisent en deux catégories : ceux qui ont la grâce sanctifiante et ceux qui ne l’ont pas. Les premiers sont les amis de Dieu « participants de la nature divine » (2 Pet. 1, 4) tant qu’ils conservent cette grâce ; les seconds sont ses ennemis « fils de colère » (Eph. 2, 3) et tant qu’ils ne la reçoivent pas, il n’y a pas de milieu possible, car on ne peut pas être à la fois ami et ennemi de Dieu. Ici-bas ceux qui ont la grâce peuvent la perdre par le péché mortel et ceux qui ne l’ont pas peuvent la recevoir par le baptême, la contrition parfaite ou le sacrement. Lorsque survient la mort, l’âme est fixée pour l’éternité dans l’état où elle est trouvée. La mort rend définitive une situation qui pouvait être changeable dans le temps. Pour ceux qui se sauvent par la grâce reçue et conservée, la mort les fait entrer dans la gloire du ciel dont le bonheur essentiel et ineffable consiste à voir la Trinité face à face. Pour ceux qui se perdent à cause de la grâce refusée ou perdue par le péché, la mort les séparent irrévocablement de Dieu qui les punit de la peine du feu éternel, « ignem aeternum » (Mt. 25, 41). Tel est le destin des hommes.
Ce qui veut dire qu’il est souverainement important pour chaque homme de se mettre et de se conserver jusqu’à la fin dans la grâce de Dieu. A vrai dire il n’y a pas de chose plus importante. Les paroles de Notre-Seigneur et des saints nous garantissent que c’est là que doit être notre préoccupation essentielle et que les autres préoccupations en rapport de celle-là n’en méritent même pas le nom. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Mt. 10, 28). Aux disciples qui se félicitaient du don des miracles et disaient triomphants « les démons eux-mêmes nous sont soumis », le Christ leur répond : « réjouissez-vous d’une chose que vos noms soient inscrits dans les cieux » (Lc 10, 20) c’est-à-dire d’être comptés parmi les élus et revêtus de la robe nuptiale, symbole de la grâce. C’est donc là l’unique nécessaire, comme le rappelle la Liturgie, tout au long de l’année.
Aussi une question doit souvent s’imposer à nous : « suis-je dans la grâce de Dieu ? ». A cette question, la Sainte Ecriture semble donner une réponse angoissante : « Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine » (Eccle 9, 1). Elle veut dire par là que nous ne pouvons jamais avoir de certitude absolue de notre « état » et de notre salut. En effet comment avoir cette certitude alors qu’on ne peut pas voir directement son âme ? Il ne faut pas trop facilement se fier à ses propres impressions, car l’illusion est facile, et on n’est jamais un très bon juge dans sa propre cause. Avis à ceux qui se donnent l’absolution sans confession, à tous les responsables mais pas coupables, à ceux qui sont justes à leurs propres yeux. Saint Paul leur répond également « ma conscience ne me reproche rien mais je ne suis pas pour autant justifié » (1 Cor. 4, 4). Sainte Jeanne d’Arc avait répondu d’une manière admirable aux inquisiteurs subtils qui lui tendaient des pièges pour s’assurer de la véracité de sa mission : « Etes-vous en état de grâce ? », « si je n’y suis Dieu m’y mette ; si j’y suis Dieu m’y garde », répondit-elle. Pour la jeune sainte il n’y avait aucune folle présomption.
En fait l’Eglise enseigne que s’il ne peut jamais y avoir de certitude absolue de notre état actuel comme de notre salut (sauf révélation spéciale), on peut tout de même avoir une certitude morale en raison de certains signes.
Quels sont ces signes ? Si l’on s’inspire de l’enseignement des Pères de l’Eglise, on peut en compter huit :
1) une bonne vie dans la vraie foi ;
2) le témoignage d’une conscience pure de fautes graves et prête à la mort plutôt que d’offenser Dieu gravement ;
3) la patience dans les adversités pour l’amour de Dieu ;
4) le goût de la parole de Dieu ;
5) la miséricorde à l’égard des pauvres ;
6) l’amour des ennemis ;
7) l’humilité ;
8) une dévotion spéciale à la Sainte Vierge à qui nous demandons tous les jours de prier pour nous à l’heure de notre mort.
Le Père Garrigou-Lagrange O.P. dans son livre de la Prédestination des saints et la grâce ajoute que « parmi ces signes, certains, comme la patience chrétienne dans l’adversité, montrent que l’inégalité des conditions naturelles est parfois compensée au delà par la grâce divine ». Les béatitudes évangéliques confirment bien cela : « bienheureux les pauvres en esprit, les doux, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les pacifiques, ceux qui souffrent persécution pour la justice ; car le royaume des cieux est à eux ». (Mt. 5).
De tous les biens, le meilleur sera toujours la grâce.
Sacerdos
13 décembre 2023