L’Église et l’agriculture

 ou

« Tout restaurer dans le Christ » (Eph. 1, 10)

 

 

A l’attention du lecteur :

Cette conférence a été prononcée le 24 février 2024, lors d’une journée consacrée à « L’agriculture assassinée », en Vendée.

Le texte publié ci-dessous est l’original, tout ce qui est ici écrit n’a pas été dit, vu le temps disponible. Par ailleurs, tout n’étant pas écrit, le style oral a été conservé avec parfois un manque de coordination entre les différents paragraphes. Au lecteur bienveillant de saisir avec une vue d’ensemble, l’idée générale de cette conférence.

Voici le lien pour la vidéo enregistrée ce 24 février : https://www.youtube.com/watch?v=MO0BpM8Y3qY

 

* * *

 

Dans les années 70, il y a donc 50 ans environ, un agriculteur est allé voir son curé ; c’était au début du printemps et il avait jusqu’ici coutume, comme ses ancêtres en avaient l’habitude, de demander au curé de sa paroisse, de bien vouloir venir bénir ses champs pour les Rogations. C’était donc dans les jours qui précédaient la fête de l’Ascension.

Le concile Vatican II était passé par là et, avec lui, les dépoussiérages, les changements, au nom de l’humanité devenue (enfin) adulte. Le curé lui répondit donc qu’au nom du progrès, il ne viendrait plus bénir les cultures, les semences, mais qu’à présent il y avait les engrais et que c’était bien mieux ainsi.

 

Je ne suis pas un spécialiste des produits qui font pousser de façon ‘miraculeuse’ les semences, je ne connais pas les engrais et toutes leurs ‘vertus’ mais je connais mieux les bénédictions que l’Église a, dans sa sagesse ancestrale, confectionné au rythme du temps, des besoins des fidèles ses enfants, et c’est le propos que j’ai pour tâche de vous exposer aujourd’hui.

 

L’agriculture est de plus en plus en péril, le mondialisme avec la désappropriation de la terre en particulier touche de plein fouet les paysans, les « gens du pays » : ceux qui le font vivre de façon réelle. Le libre échange fauche nos propres productions : le blé vient d’Ukraine, les volailles d’Amérique du Sud, le porc d’Espagne, le lait d’Allemagne, etc. Vous savez tout cela bien mieux que moi. Les blocages de nos villes et de nos voies rapides, des autoroutes, fin janvier, nous a montré la colère bien légitime des cultivateurs qui ont dû arrêter leur élan devant des menaces d’amendes exorbitantes. Quand le seul argument est l’amende… cela nous rappelle les interdictions de bouger et les menaces durant les confinements… !

 

Mais mon propos sera religieux – car c’est mon domaine -, et je reviendrai donc à mon introduction, que j’entends développer. L’Église a en effet une réponse dans son trésor d’un passé bimillénaire : elle est maîtresse de sagesse et de prudence et il m’a paru intéressant, instructif d’ouvrir pour vous un des livres liturgiques qu’est le Rituel, et aussi l’enseignement des papes sur le sujet de l’agriculture.

Les principes mènent les actions, les idées mènent le monde. L’Église est de nature enseignante. Et c’est parce que l’Église a renoncé à enseigner que l’ivraie de l’erreur a pris la place du bon grain. L’Évangile nous l’enseigne. Comme le disait Notre-Seigneur : « Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne. »

 

« Les agriculteurs savent parfaitement combien de choses dépendent de l’affectueuse bonté de Dieu et de l’intercession de notre Bienheureuse Mère, des anges et des saints, de sorte qu’ils sont trop heureux qu’on les instruise de ces bénédictions et que leurs prêtres appellent ces dernières sur eux. Il existe des bénédictions spéciales pour le foyer et les champs, pour le sel et les fourrages, pour les chevaux et le bétail, pour les graines et les récoltes. S’il ne fallait en citer qu’une, ce serait celle – si touchante – qui vaut pour les graines à semer et qui est octroyée le 8 septembre, fête la Nativité de Notre-Dame. Car de même que la graine contient en germe la future récolte, on peut aller jusqu’à dire que la Nativité de Notre-Dame a annoncé la venue de Celui qui allait restaurer la Vie divine de la Grâce sans laquelle nos vies ne seraient pas vraiment porteuses de fruit. » (L’Église et l’Agriculture, par le Père Denis Fahey, p. 204)

 

Nombreuses sont les bénédictions : le Rituel en comporte beaucoup, pour toutes sortes d’occasions : les processions que l’on peut faire en différentes circonstances (pour demander la pluie, la sérénité, pour repousser les tempêtes, en temps de famine et de pénurie, contre les inondations, en action de grâces pour les bienfaits reçus).

Voici la liste (sans doute non exhaustive) de ces bénédictions : les fruits, la vigne, les fruits nouveaux, le pain, l’huile, les semences, les moissons ; les puits, les champs, les alpages.

Il existe des bénédictions pour des jours précis : les semences (8 septembre, Nativité de Notre-Dame), le vin (24 juin, pour la Saint-Jean-Baptiste), le pain, le vin et l’eau (le 3 février pour la Saint-Blaise, en plus des cierges pour protéger du mal de gorge, au même jour), les herbes (le 15 août à l’Assomption).

On bénit le vin pour les malades, la bière, le fromage, le lard, les chevaux, le bétail (bien portant et malade), le sel et l’avoine, les étables. Dans la suite de cet exposé, il sera question des abeilles avec la cire et le miel.

 

Le rituel donne même des bénédictions, qui sont en fait un exorcisme, contre les animaux nocifs et voici un texte du Père Victor-Alain Berto (1900-1968 – théologien de Mgr Lefebvre au concile Vatican II) rédigé en mai 1955, dont nous pouvons savourer et le style et l’humour :

« Si la beauté littéraire est l’expression sonore, nombreuse, en style lyrique ou oratoire, d’une idée majestueuse, il faut dire que ni Pindare, ni Goethe, ni Shakespeare, ni Dante n’ont rien qui dépasse, nous disons quant à nous (et nous ne le disons pas seuls) rien qui atteigne la Préface de la Consécration des Vierges, l’Exsultet de la Vigile Pascale, le Stabat de la Compassion, l’hymne de Noël ou le Decora lux avec la strophe qui tire les larmes des yeux O Roma felix. […] Dans un ordre moins sublime on peut prendre presque au hasard les oraisons du Missel (à l’exception, ce qui n’est pas un hasard, des plus modernes), les exorcismes et les bénédictions du Rituel, la beauté littéraire est partout ; partout la poésie, partout les mots qui, d’emblée, par leur sens et leur son conjoints, suscitent, comme on dit depuis Péguy, le « climat » du mystère célébré, partout la trouvaille poétique, ou noble ou suave; nulle part l’amphigouri, le falbala, l’emphase, l’obscurité, la torture raffinée de la langue; mais dans la lumière ou de l’aurore, ou du midi, ou du crépuscule évoquée par des génies inconnus au cœur absolument simple, la chose à dire est dite avec génie et avec simplicité. « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les ait point pensées, et si clairement néanmoins qu’on voit bien ce qu’il en pensait ; cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable. » Cette pensée, elle-même admirable, de Pascal, c’est à toute page des livres liturgiques latins qu’il faudrait l’appliquer.

Il y a un exorcisme contre les rats qui est un pur joyau de poésie franciscaine, où ces animaux sont priés, au nom du Seigneur qui les a créés, de déguerpir, mais priés avec une courtoisie, une délicatesse à laquelle ils ne peuvent vraiment pas être insensibles. Et de déguerpir pour aller où ? On ne le dit pas. Peut-être bien chez le voisin, mais c’est son affaire, il convoquera un autre exorciste, et les rats finiront bien par aller aux champs. Rien ne manque à ce parfait poème en dix lignes, pas même ce léger voile d’ironie gentille qui rappelle Bainville, « si parva licet com ponere magnis – s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes. » (Virgile) »

 

Les papes, surtout Pie XII, ont parlé de la terre. (Cf. « Problèmes agricoles et ruraux », Editions de Solesmes) :

« La crainte de Dieu, la confiance en Dieu, la foi vive qui trouve son expression quotidienne dans la prière commune de la famille, régissent et guident la vie des travailleurs des champs ; l’église reste le cœur du village, le lieu sacré, qui suivant les traditions des Pères, réunit chaque dimanche les habitants, dans la louange et le service de Dieu, en lui demandant la force de penser et de vivre chrétiennement tous les jours de la semaine qui commence.

Qualités de l’agriculteur

C’est à vous qu’il appartient de montrer que l’exploitation agricole, précisément à cause de son caractère familial, n’exclut pas les réels avantages des autres formes d’exploitation et en évite les inconvénients. Montrez-vous donc toujours intelligents, attentifs, actifs dans le soin de la terre natale, toujours travaillée, jamais exploitée au mauvais sens du terme. Montrez-vous réfléchis, parcimonieux, ouverts au progrès, dans l’emploi généreux de votre propre capital et de celui des autres, dans la mesure favorable au travail, mais non préjudiciable à l’avenir de votre famille.

(…) Le péché a rendu pénible le travail de la terre, mais ce n’est pas lui qui l’a introduit dans le monde. Avant le péché, Dieu avait donné à l’homme la terre à cultiver, comme l’occasion la plus belle et la plus honorable dans l’ordre naturel. » Pie XII, 15 novembre 1946

L’enthousiasme dans le travail

« Travailler à la sauvegarde de l’agriculture française, n’est-ce pas un idéal aussi beau, aussi noble, aussi élevé que celui du savant, de l’explorateur, du missionnaire, ou autrefois, celui du chevalier ! Car le paysan est à la base de la société et sans lui, rien ne saurait survivre ! » Abbé Philbert Rigault : Le bon travail (p. 22)

Le travail

Ne pouvant transcrire plusieurs des pages du bon ouvrage de l’abbé Rigault sur cette notion, je renvoie le lecteur aux pages p. 37 – 41 (Le bon travail, aux Éditions de Chiré)

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », tel est l’enseignement de Dieu après la transgression de nos premiers parents.

Le monde de la machine ne peut, ne doit remplacer l’apprentissage de l’effort personnel. « Certes, conclut-il, on ne revient pas en arrière, nous ne voulons ni ne pouvons retourner à l’âge des cavernes. Nous acceptons la machine comme d’une béquille perfectionnée et nous en usons comme d’un vêtement. De cette manière, aussi bas que nous soyons tombés dans la complexité de notre organisation, nous pouvons remonter, lentement et pas à pas, vers la simplification de la vie. En mettant un frein à notre penchant pour la facilité matérielle, en refaisant l’apprentissage de l’effort personnel. » (p. 41)

 

Pour conclure cette partie, écoutons, lisons ce qu’en 1945, Bernanos disait : « On ne comprend rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

Et pour ce fait, il faut donc remettre de l’ordre (voir Le Bon Travail, p. 51)

 

* * *

 

Je vous propose un moment de détente en découvrant, pour un bon nombre sans doute, le monde des abeilles.

 

Les abeilles, modèle de vie sociale :

  • Bénédiction des abeilles : « Dieu tout-puissant, qui avez créé le ciel et la terre et tous les animaux vivant sur eux et en eux ; qui avez ordonné par les ministres de votre sainte Église que la cire des abeilles soit apportée dans vos temples pour les fonctions sacrées au cours desquelles elle brûle en présence du sacrement du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ : que votre bénédiction descende sur ces abeilles et leurs alvéoles ; qu’elles se multiplient, fructifient et soient conservées de tous les maux, en sorte que le fruit (cire et miel) qui viendra de leur travail vous rende gloire, ainsi qu’à votre Fils, au Saint-Esprit et à la Bienheureuse Vierge Marie. »
  • Bénédiction des Cierges lors de la Chandeleur : « Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui avez fait toutes choses de rien et avez ordonné que par le travail des abeilles cette substance fût transformée en cire (…), daignez bénir et sanctifier ces cierges, pour l’usage des hommes et la guérison des corps et des âmes, tant sur terre que sur mer. » (Première oraison). La troisième oraison est remarquable : « Seigneur Jésus-Christ, lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde, répandez votre bénédiction sur ces cierges et sanctifiez-les par les rayons de votre grâce. Faites que comme la flamme de ces cierges dissipe les ténèbres de la nuit, une flamme invisible, à savoir la lumière éclatante du Saint-Esprit, répande également sa clarté dans nos cœurs, les délivre de l’aveuglement du vice et, purifiant le regard de l’esprit, nous donne de pouvoir discerner ce qui vous est agréable en même temps qu’utile à notre salut, en sorte qu’après les obscurités et les dangers de ce siècle, nous puissions parvenir à la lumière qui ne fait jamais défaut. Accordez-le-nous, Jésus-Christ, Sauveur du monde, qui étant Dieu vivez et régnez au sein de la parfaite Trinité, dans tous les siècles des siècles. » Le mot d’ordre de saint Paul est concret : il faut que tout soit instauré, restauré dans le Christ Seigneur. Il est Roi : tout lui appartient, jusqu’à la cire des abeilles.

 Voici un discours pontifical de Pie XII, aux participants au 17° congrès international des apiculteurs :

 » Lundi 22 septembre 1958

Comme tant d’autres, vous avez voulu, chers fils, venir à Rome pour y tenir votre Congrès International. Vous avez exprimé le désir de Nous mettre en quelque sorte au courant de vos activités et d’entendre de Nous quelques mots paternels. Nous vous accueillons avec plaisir et vous félicitons de vos travaux. Nous avons admiré la variété des informations de caractère théorique et des indications pratiques que vous donnez aux apiculteurs, et dont ceux-ci retireront sans aucun doute grand profit. 

Le monde des abeilles, en effet, est l’un des plus étonnants qui soient pour l’esprit humain, comme l’atteste l’intérêt qu’on lui porte depuis les époques les plus reculées. Le centre de ce monde, c’est la ruche, et les abeilles sont les protagonistes de la vie extraordinaire qui frémit en elle. Il s’agit d’une des espèces animales les plus riches, les mieux organisées et qu’on trouve dans toutes les régions, sous tous les climats. Elles possèdent une grande facilité d’adaptation, de sûrs moyens de défense, des organes des sens très fins, et sont étonnamment prolifiques. La vie des abeilles se déroule sous forme de société permanente ; les individus sont groupés en catégories, et chacun possède une forme adaptée à la tâche particulière qui lui incombe au profit de la communauté. L’attention des savants et des profanes se porte d’emblée vers la reine. Plus grande que les autres et vivant plus longtemps, elle a comme fonction de pondre les œufs, de quinze cents à trois mille par jour, pendant cent quarante jours environ. Comme elle est dépourvue de moyens de défense, ce sont les autres qui la protègent, et quand elle craint que d’autres reines ne deviennent ses rivales, elle fuit avec un essaim d’ouvrières et devient fondatrice d’une nouvelle ruche. 

Autour de la reine, on trouve les faux bourdons, physiquement plus démunis, qui ont une part active dans la fécondation et sont nécessaires pour la continuation de la vie dans la ruche. Mais les ouvrières, toujours très nombreuses, se montrent les plus laborieuses et les plus utiles. Elles se répartissent les charges, afin que tout le travail se fasse bien et en temps opportun. Nées depuis peu, elles remplissent déjà l’office de nourrices ; à peine commencent-elles à sécréter la cire qu’elles se font constructrices ; finalement, au moment de leurs premiers vols de fleur en fleur, elles deviennent suceuses. Toutes cependant se préoccupent de leur défense individuelle et de celle de la colonie entière, sans qu’aucun poste demeure inoccupé, grâce à la relève incessante de toutes les ouvrières. 

Il n’est pas possible, et de toute manière, pour vous, il n’est pas nécessaire de raconter les merveilles du monde des abeilles, monde extraordinaire, dont le mystère reste encore incomplètement dévoilé ; monde sympathique, dirions-Nous même, à cause des services variés, qu’il rend aux hommes. 

Le langage des abeilles – Qu’il suffise, pour rappeler l’une des raisons de notre étonnement, d’évoquer la manière dont les abeilles se comprennent, se consultent, s’interrogent. Certes, on savait depuis longtemps qu’elles parlaient en quelque sorte au moyen de différentes danses ; mais récemment on a appris qu’elles communiquaient entre elles par un organe minuscule, la glande Nasonof, qui leur servirait à émettre des effluves de nature vraisemblablement corpusculaire et parfumée, rayonnante et ondulatoire ; ces effluves ne seraient captés que par les abeilles de la colonie, à laquelle appartient l’émettrice. Plus récemment encore, on aurait découvert que les abeilles correspondent aussi au moyen des ultrasons ; on peut en effet observer certains mouvements rapides et périodiques des ailes, sans qu’on perçoive pour autant aucun son. Les ultrasons aideraient les ouvrières dispersées à rejoindre l’essaim, et attireraient d’autres individus à travailler sur une fleur. Certains pensent que le sens extraordinaire de l’orientation, que possèdent les abeilles, pourrait être utilisé même pour porter des messages. 

La cire et le miel – Et cela Nous amène à Nous arrêter sur un autre aspect monde des abeilles : les avantages que l’homme retire de leur activité. Leur cire — la principale cire animale — est l’œuvre de ces ouvrières infatigables. Si l’on songe que les cierges destinés à l’usage liturgique doivent être faits, en tout ou en majeure partie, avec cette cire (cf. Decreta authentica Congregationis Sacrorum Rituum, n. 4147, 14 déc. 1904), l’on admettra aisément que les abeilles aident en quelque sorte les hommes à accomplir leur devoir suprême, celui de la religion. 

Mais leur produit le plus caractéristique c’est le miel, obtenu par transformation du nectar des fleurs dans le jabot, grâce à la sécrétion d’une substance spéciale. Personne n’ignore les précieuses qualités nutritives du miel, mais il n’en reste pas moins qu’elles devraient être mieux connues et mises davantage à profit, grâce à la multiplication et à la rationalisation des centres d’apiculture. Les sucres contenus dans le miel semblent exceptionnellement importants, si l’on pense que le dextrose, absorbé par l’organisme sans lui imposer aucun travail de transformation, est d’un apport essentiel pour le cœur et va directement aux muscles, tandis que le levulose, transporté au foie, y constitue une réserve indispensable à la santé. Ajoutons encore que le miel est riche en vitamines et en hormones, et que même le venin des abeilles pourra peut-être un jour servir en médecine. 

La pollinisation – Plus encore que leur production de cire et de miel, leur activité de pollinisation leur mérite une place de premier plan dans l’économie agricole. Les travaux de votre Congrès ont souligné en effet la possibilité d’augmenter dans de notables proportions le rendement des cultures fourragères et de certaines cultures industrielles, grâce à la multiplication des colonies d’abeilles. La négligence de certains producteurs de semences et de fruits envers ce facteur capital de pollinisation leur vaut des récoltes, qui s’élèvent à peine au tiers ou au quart de ce qu’ils pourraient obtenir en recourant au service des abeilles. 

Tels sont brièvement esquissés les avantages principaux, que procurent à l’homme ces précieux hyménoptères. 

La science au service de l’apiculture – Nous espérons avec vous qu’une meilleure organisation de la formation technique agricole donnera désormais aux jeunes gens les connaissances nécessaires et le goût requis pour s’adonner avec bonheur à ce passionnant et fructueux élevage. Bien loin de faire évanouir la poésie virgilienne de l’apiculture, la science moderne en révèle au contraire chaque jour davantage et les merveilleux mystères et les ressources nouvelles. Connaître les maladies des abeilles et leurs ennemis constitue une première condition trop souvent ignorée d’une entreprise apicole. Mais la prospérité de ce petit monde dépend encore de nombreux facteurs positifs, susceptibles de transformer la production du miel en industrie saine et sûre. L’étude théorique et pratique de ces facteurs extérieurs à la ruche ou propres à la race des abeilles, à la vitalité de la reine, à la constitution de l’essaim, apporte à l’apiculteur le moyen tant désiré d’élever la production et de la rendre suffisamment constante. 

En vous remerciant de Nous avoir donné l’occasion d’en parler, Nous voudrions vous dire, avant de vous congédier, quelques mots de paternelle exhortation, certain que vous en ferez l’objet de vos méditations. Les réflexions, dont Nous vous faisons part, Nous sont suggérées par la ruche, cité des abeilles, et par le miel, fruit de leur industrieux labeur. 

La ruche, œuvre de l’intelligence divine – La ruche se présente comme l’habitat de milliers d’insectes actifs et pleins de vie, comme une cité industrielle au travail assidu et ordonné. L’on dirait même un état monarchique, où la reine toutefois apparaît non comme une souveraine et une directrice, mais comme la mère féconde de toute la colonie. Si l’on s’enquiert sur l’origine, la fonction et le but de la ruche, le naturaliste répond que les cellules faites de cire sont construites pour contenir le miel destiné à la nourriture des larves. Le mathématicien ajoute aussitôt que l’abeille construit la cellule en forme hexagonale, de sorte que les prismes aient la plus grande contenance pour une surface minimum des parois ; il note également que les trois plans, qui en forment les arêtes, se rencontrent sous l’angle juste. Donc, en conclurait-il, l’abeille a résolu, et depuis longtemps, un problème de mathématique transcendantale très ancien et très difficile, qui resta jusqu’à une époque récente l’objet d’étude de beaucoup de savants. 

Les observations du naturaliste et les déductions du mathématicien fournissent un point de départ aux réflexions du philosophe, qui voit en cela l’œuvre d’une intelligence capable de prévoir un but et de fixer avec précision les moyens requis pour l’atteindre. Quelle sera cette intelligence ? Le philosophe exclut sans hésiter qu’on puisse l’attribuer aux abeilles. Celles-ci agissent, et très bien, mais elles ne comprennent rien ; incapables de progresser, elles obéissent depuis des millénaires à l’instinct, qui détermine rigoureusement leur comportement individuel, même s’il permet à l’espèce certaines adaptations. 

Qu’en conclure sinon que l’intelligence qui dirige l’organisation de la ruche et la vie des abeilles est celle de Dieu, qui a créé la terre et les cieux, qui a fait germer les herbes et les fleurs, qui a doté d’instinct les animaux. Nous vous invitons, chers fils, à voir le Seigneur à l’œuvre dans la ruche, devant laquelle vous demeurez émerveillés. Adorez-le donc et louez-le pour ce reflet de sa divine sagesse ; louez-le pour la cire qui se consume sur les autels, symbole des âmes qui veulent brûler et se consumer pour lui ; louez-le pour miel, qui est doux, mais moins que ses paroles, dont le Psalmiste chante qu’elles sont « plus douces que le miel ! » (Ps 118, 103). 

La parole de Dieu, plus douce que le miel – Les paroles du Seigneur, qui expriment ses jugements et ses volontés, « remplissent de douceur plus que tout rayon de miel », dit-il encore (Ps 18, 11). Sera-ce bien vrai ? Ou plutôt le Seigneur ne donne-t-il pas seulement douleur et tristesse ? « Ce qui nous rendrait joyeux, Dieu nous le refuse », entend-on dire parfois d’un ton triste et désabusé. En fait, qui regarde de loin et s’arrête aux apparences, est tenté de croire que les interventions de Dieu dans le monde apportent la tristesse, parce qu’elles enlèvent de la vie toute la poésie et lui ôtent, pour ainsi dire, toute chaleur. 

Il n’en est pas ainsi, chers fils. Demandez-le à ceux qui ne se sont jamais éloignés de Dieu, ou à ceux qui se sont rapprochés de lui avec une foi vive et un cœur humble. Demandez-leur s’il n’est pas vrai qu’après les difficultés du début, après l’incertitude des premiers pas, le chemin devient toujours plus aisé. Demandez s’il n’est pas vrai que souvent la Croix — la Croix qui éduque, qui sauve, qui transforme, réussit à enivrer les âmes. L’auteur du « Stabat » ne chantait-il pas : « Fac me Cruce inebriari ? ». 

Mais pourquoi dire : « Demandez ? ». Faites-en plutôt l’essai, chers fils, et « voyez combien le Seigneur est doux » (Ps 33, 9). Sachez, au début, supporter sans révolte, sans imprécations, l’amertume des rébellions instinctives, de l’indifférence, de l’incompréhension, de même celle des calomnies et de la persécution. Vous verrez ensuite quelle sérénité, quelle paix et quelle joie vous rempliront ! Puissent les hommes, quand ils ont connu Dieu ou qu’ils l’ont reconnu, faire de sa volonté le critère de leur propre vie ! Personne ne dira que l’on arrive sur terre à goûter la joie du ciel. La goûter, non, sans doute ; mais en avoir un avant-goût, certes ! 

Une terre était promise aux hommes après un long voyage de fatigues et d’efforts : « terram fluentem lacte et melle » (cf. Ex 13, 5), et sur leur chemin, chaque jour descendait un don de Dieu : la manne blanche, à la saveur de fleur de farine et de miel (cf. Ex. 16, 31). Chers fils, qui étudiez le monde mystérieux et merveilleux des abeilles, goûtez et voyez, autant qu’il est possible ici-bas, la douceur de Dieu. Un jour, vous goûterez et vous verrez au ciel que l’océan de sa lumière et de son éternel amour est encore infiniment plus doux que le miel. 

En gage des faveurs divines que Nous implorons ardemment sur vous, Nous vous accordons à vous-mêmes et à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique. »

Neuf ans plus tôt, Pie XII s’adressait aux Apiculteurs italiens, le 27 novembre 1947. Voici la conclusion du souverain pontife : « Ah ! si les hommes savaient et voulaient écouter la leçon des abeilles ; si chacun savait accomplir, dans l’ordre et dans l’amour, au poste fixé par la Providence, son devoir quotidien ; si chacun savait goûter, aimer, mettre en valeur, dans la collaboration intime du foyer domestique, les petits trésors accumulés dans la journée de travail hors de chez lui ; (…) si, en un mot, ils apprenaient à faire par intelligence et sagesse, ce que les abeilles font par instinct, combien meilleur serait le monde ! »

Ajoutons un dernier mot au sujet des abeilles : elles ont un dard, pour se défendre. Saint Paul dit que le chrétien a un glaive, pour défendre la vérité et pourfendre l’erreur. L’abeille est une image, incarnons la réalité !

 

* * *

 

Quelques conclusions

Favoriser le commerce de proximité : le petit producteur aux grands centres commerciaux anonymes. Cela favorise l’esprit d’entraide, la connaissance avec son prochain le plus proche (il y a un ordre dans la charité, selon l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, et du bon sens aussi !).

 

Une nourriture saine

Le Père Fahey (cf. L’Église et l’Agriculture, p. 193 – 194) prend l’exemple de la santé des dents par une alimentation équilibrée et saine. L’État-providence avec son système de sécurité sociale rembourse vos frais dentaires, comme tout le reste ? Le monde court chez le dentiste car il perd ses dents en raison d’une nourriture mauvaise pour l’organisme.

Une fois encore, je ne suis pas cultivateur, ni biologiste ni chimiste et pas davantage dentiste. Mais les principes sont universels et il s’agit de les connaître, afin de (bien) les appliquer.

 

Mgr Lefebvre, lors de son Jubilé sacerdotal en septembre 1979, avait lancé un appel à une Croisade à plusieurs facettes : celle des chefs de famille, celle de la vie à la campagne, celle d’une vie saine, au prix de la pauvreté le cas échéant. Qui a entendu son appel ? Qui l’a pris au sérieux ? Il est tard… mais il ne sera jamais trop tard.

 

Le potager familial : il importe que chaque famille ait au moins un petit lopin de terre et apprenne aux enfants à cultiver : « (…) Et je souhaite que, voyez-vous, dans ces temps si troublés, dans cette atmosphère si délétère dans laquelle nous vivons dans les villes, vous retour­niez à la terre quand c’est possible. La terre est saine, la terre apprend à connaître Dieu, la terre rapproche de Dieu, elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail. (…) »

 

Ces derniers mots sont importants et il faut nous y arrêter un peu : Mgr Lefebvre donne les principes, il faut les méditer et en tirer des conséquences. En 1979, il y a le téléphone, la télévision (hélas…) mais il n’y a encore l’internet avec l’immédiateté des besoins, des envies et des caprices assouvis dans l’instant. A présent on achète tout en ligne, on l’a dans les jours qui suivent. La terre nous apprend le contraire : la graine, la semence enfouies en terre mettront du temps à porter du fruit, à venir à maturité. La terre est une école d’éducation, dans la patience et la persévérance.

 

Je répète ce que j’ai dit avant de citer l’Archevêque : Qui a entendu son appel ? Qui l’a pris au sérieux ? Il est tard… mais il ne sera jamais trop tard.

 

 

Laboureur du sol et membre du Christ

L’Église et l’Agriculture, par le Père Denis Fahey : p. 196 sq.

La vie liturgique et les saisons (Fahey, p. 201 sq) : aujourd’hui, c’est le samedi des Quatre-Temps. « Par le jeûne et la pénitence, nous préparons le sol de nos cœurs afin que la graine de la vie du Christ puisse y être semée et y germer. Puis vient le temps de la Passion, où la graine est plantée. Cela fait vivre à nos yeux le fait que comme la graine doit périr pour porter du fruit, de même la Vie surnaturelle n’a pu être rendue au monde que par la Passion et la Mort du Christ. Nous sommes censés être ensevelis avec le Christ dans le Baptême, afin que par la mort du vieil Adam, nous puissions accéder à la nouvelle vie de membres du Corps Mystique du Christ avec Lui, dans le Mystère de Pâques. Sur terre, Pâques se présente comme une véritable résurrection. C’est l’époque de l’année où les arbres commencent à revêtir un nouveau feuillage. Toutes les coutumes habituelles de Pâques (les œufs de Pâques, et même le traditionnel ménage de printemps) apparaissent comme des manifestations de la nouveauté de cette vie qui vient avec la résurrection dans la nature ainsi que dans la surnature. Pâques marque le commencement, la première floraison d’une vie nouvelle. La Pentecôte en est l’accomplissement, la plénitude. Les arbres dont les feuilles ne commencent à pousser qu’à Pâques, montrent un feuillage complet à la Pentecôte. Il en va de même dans l’ordre surnaturel : le Christ a planté la Vie divine à Pâques, et c’est à la Pentecôte que le Saint-Esprit vient apporter aux âmes des chrétiens et la plénitude de la vie. » (Père Denis Fahey, p. 202-203)

 

Que chacun réfléchisse bien sur tout cela et en tire des conclusions. La vie naturelle est le prélude et le soubassement de la vie surnaturelle : l’une conditionne l’autre.

 

Un dernier mot : « la terre ne ment pas ». Rappelons-nous en, afin de vivre dans la vérité et de demeurer ses fidèles serviteurs.

 

Abbé Dominique Rousseau

24 février 2024

 

Livres de référence :

Rituel : les bénédictions

Problèmes agricoles et ruraux – Enseignements pontificaux, édités par Solesmes

Le bon travail, par l’abbé Philbert Rigault

L’agriculture assassinée, par Jean-Claude Davesnes

L’Église et l’Agriculture, par le Père Denis Fahey, spiritain

 

En annexe (cliquer sur le lien) : Luce Quenette : « Le paysan persécuté » – Itinéraires n° 135, juillet – août 1969