Du 1er au 3 décembre 2023, les 600 séminaristes de tous les diocèses français se sont rassemblés à Paris, dans l’église Saint-Sulpice. A l’occasion de ce rassemblement, Mgr de Moulins-Beaufort a répondu aux questions qu’ils lui ont librement posées.

L’un d’eux a demandé : « L’Église de France a-t-elle un problème avec les traditionalistes ? »

Mgr de Moulins-Beaufort a répondu : « Oui. Oui, sans doute en raison de notre histoire mouvementée depuis la Révolution. S’il y a une question centrale, c’est une question de théologie politique et de rapport au monde. Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais il est venu fonder l’Église. Ce n’est pas la même chose. A force de trainer la nostalgie d’un état catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation. »

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Cette assertion du Président de la Conférence épiscopale de France mérite que nous écrivions à ce sujet. Il est en effet grave et de la plus haute importance.

En une phrase, l’évêque de Reims a biffé d’un revers de main toute la mission voulue par le Fondateur de l’Église, Notre-Seigneur lui-même : « Allez évangéliser toutes les nations… » Si l’ordre est aussi formel, il est clair que le Christ veut que les nations deviennent et demeurent catholiques.

La courte réponse de l’évêque, successeur de saint Rémi qui baptisa Clovis avec trois cents de ses guerriers en la nuit de Noël de l’an 496, contredit l’Histoire de l’Eglise. Ce fait historique du baptême de Clovis est à l’origine de notre France catholique en particulier, et chacune des nations catholiques a connu un événement similaire qui a fait passer ces portions de terre, de barbares ou athées, à des nations soumises au Règne du Christ : Notre-Seigneur a bel et bien voulu bâtir des nations catholiques, baptisées au nom de la Sainte Trinité.

Nous pouvons qualifier les propos de l’évêque de Reims non seulement d’erronés, mais d’impies.

Nous suggérons à ce mauvais successeur de saint Rémi de se plonger dans la lecture méditée du Cardinal Pie (sermon prononcé à Poitiers, le 25 novembre 1873) :

« Le monde moderne met un certain amour‐propre à proclamer la date de sa naissance ; volontiers il se dit l’enfant de 89. Or, depuis cette époque, notre patrie a été constamment sous l’empire d’une singulière affection morbide. (…) A partir de ce temps la chose publique n’a pas discontinué de subir l’influence des lunaisons. Quel remède sera au mal ? Avant tout, le miracle de la délivrance exige des conditions chez ceux qui le réclament, et la plus élémentaire comme la plus indispensable de ces conditions, c’est la foi. Génération incrédule et infidèle, (même quand) tu demandes à la religion de guérir le malade (la nation), de le délivrer du mauvais esprit, tu ne crois pas, et tu ne veux pas affirmer ta foi en cette religion du Christ. (…) Ne voyez‐vous pas, observe saint Jérôme, que « Jésus‐Christ agit comme le médecin placé en face d’un malade qui se comporte au rebours de toutes ses prescriptions. » En vérité, lui dit‐il, « jusqu’à quand vendrai‐je perdre mon temps et l’industrie de mon art dans ta maison, où Je commande une chose, et où tu n’omets Jamais d’en faire une autre ? »

« Après avoir essayé de tout le reste sans succès, si les politiques, si les hommes d’État se déterminent à essayer de Jésus‐Christ, c’est à la condition expresse de ne point articuler la fol de la nation, la croyance du pays à sa divinité et à sa puissance surnaturelle. On veut la guérison sociale sans la profession de foi sociale. Or, à ce prix, Jésus‐Christ, tout‐puissant qu’il est, ne peut pas opérer notre délivrance ; tout miséricordieux qu’il est, il ne peut pas exercer sa miséricorde. (…) Est‐ce bien à toi, peuple de France, qu’il faut demander si tu peux croire et si tu peux déclarer authentiquement ta croyance ? Toi dont le baptême est contemporain de ta naissance, toi le premier‐né de l’orthodoxie, toi dont le nom est devenu (…) synonyme du nom chrétien ? Et quel obstacle aurait donc pu survenir à cette profession ouverte de ta foi ? (…) Oui, sans blesser personne, (…) tu peux croire et proclamer ta croyance. Et, le pouvant, tu le dois. Et, le faisant, il n’y a plus rien d’Impossible pour toi. La France redevenue croyante, et reprenant dans le monde sa grande et noble mission, ce serait le signal d’une nouvelle série de gloires et de merveilles qui étonneraient la terre. Ah ! Si ce peuple allait verser les larmes qui jaillirent des yeux de l’homme de notre évangile (Mt 17,18) ! S’il allait dire à Jésus : « Je crois, Seigneur », mais après un siècle et plus, d’orgies intellectuelles, de perturbations sociales, ne vous offensez pas de la faiblesse et de l’imperfection de ma fol. Je crois, mais venez vous‐même au secours de mon incrédulité, et réparez dans ma croyance les brèches que tant de révolutions y ont faites.

(…) Ainsi en sera‐t‐il de notre destinée. Que l’Influence démoniaque, que l’esprit révolutionnaire dont la société est travaillée, soient bannis de notre régime légal, de notre constitution publique, la convalescence est prochaine, la guérison est assurée. Au contraire, tant que le même esprit subsistera, tous les expédients de nos empiriques avorteront : les mêmes crises, les mêmes catastrophes, se reproduiront à des termes de plus en plus courts, et avec des symptômes de plus en plus graves. (Il est temps que nous nous interrogions nous‐mêmes…) Car enfin, pourquoi une élite si considérable (…) n’apporte‐t‐elle aux souffrances du pays qu’un remède si peu efficace ? Comment s’expliquer que tant de charité, tant d’activité, tant de dévouement produisent si peu d’effet et si peu de fruit quant à l’amélioration de la chose publique. Et Jésus leur dit : « A cause de votre incrédulité ».

Le grand mal de nos sociétés, c’est que dans l’ordre des choses publiques et sociales, les fidèles ont cru que, (…) on pouvait observer la neutralité et l’abstention, (…) comme si Jésus‐Christ était non avenu ou avait disparu du monde. »

Dans son ouvrage « Ils l’ont découronné », Mgr Lefebvre relate l’entretien entre Mgr Pie et Napoléon III : « Cette erreur profonde (du libéralisme), Mgr Pie (pas encore cardinal) osa l’exposer, ainsi que la doctrine catholique du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ, à l’empereur des Français, Napoléon III.

Dans une entrevue mémorable, avec un courage tout apostolique, il donna au prince une leçon de droit chrétien, de ce qu’on appelle le droit public de l’Église :

C’était en 1856, le 15 mars, nous dit le P. Théotime de Saint Just à qui j’emprunte cette citation (6). (La royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ, d’après le Cal Pie, 1925, p. 117-121). A l’Empereur, qui se flattait d’avoir fait pour la religion plus que la Restauration (7) elle-même, l’évêque répondit :

« Je m’empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de Votre Majesté et je sais reconnaître, Sire, les services qu’elle a rendus à Rome et à l’Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous ? Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration, ni vous, n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l’évangile social dont s’inspire l’État est encore la déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu.

Or, c’est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas autre chose que Notre Seigneur est venu chercher sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouverne­ments comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence.

Or, j’ai le droit de vous dire qu’il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un État chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce pas proclamer équivalemment que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ? Eh bien ! Sire, savez-vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d’une telle contradiction ? Jésus-Christ, Roi du ciel et de la terre, leur répond : « Et moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns et les autres, moi aussi je vous accorde une égale protection. J’ai accordé cette protection à l’empereur votre oncle ; j’ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République et à vous aussi la même protection vous sera accordée. »

– L’empereur arrêta l’évêque : « Mais encore, croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »

– « Sire, quand les grands politiques comme Votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer ». Histoire du cardinal Pie, T. I, L. II, chap. II, p. 698-699.

« Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais il est venu fonder l’Église. » Mgr Moulins de Beaufort, 2023

« Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer » Mgr Pie, 1856

L’opposition entre les deux évêques est frontale et notre choix est fait. Notre-Seigneur en venant ici-bas a fondé l’Église et de ce fait les nations catholiques afin qu’il soit leur Roi. L’opposition de ces deux réalités est un sophisme.

Abbé Dominique Rousseau

15 décembre 2023