
Les pages que nous publions à l’intention de nos lecteurs, de Mgr Lefebvre, ont pour but de leur faire connaître avec plus de profondeur le « Mystère de Jésus » (titre d’un ouvrage de l’Archevêque).
Notre-Seigneur Jésus-Christ est et demeurera pour nos esprits limités un grand Mystère ; il nous est permis cependant de le scruter, par notre intelligence soumise à la Foi.
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis mes complaisances ; écoutez-le. » Ces paroles sont la plus grande révélation que Dieu ait faite à la terre, elles sont comme un écho même de la voix du Père, dit Dom Marmion (Le Christ dans ses mystères).
Lisons les lignes qui suivent avec lenteur, pour nous imprégner en cette fête de la Transfiguration de la grandeur de ce Mystère divin.
La rédaction, 6 août 2024
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NOUS AVONS VU SA GLOIRE
Les réflexions auxquelles nous nous sommes livrés jusqu’à présent, nous ont permis de nous extraire du monde des contingences, pour nous élever dans le monde éternel, qui, lui au moins, est permanent.
Nous l’avons vu, Notre Seigneur affirme clairement son unité avec son Père, cette interpénétration du Père et du Fils, cette communauté intégrale de nature et de biens que le Fils a reçus du Père, Principe unique. Il l’affirme clairement, surtout dans sa magnifique prière sacerdotale, qu’il nous faut relire souvent. Elle est tellement riche, tellement consolante, tellement belle.
Le premier paragraphe, sans doute le plus précieux, est comme un regard sur la Sainte Trinité elle-même.
« Ayant ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils afin que votre Fils vous glorifie, puisque vous lui avez donné autorité sur toute chair, afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle » » (Jn 17, 1-2).
Notre Seigneur demande donc à son Père de lui donner cette gloire, gloire qu’il a lui-même donnée à son Père pendant qu’il était ici-bas et gloire qu’il a communiquée aussi à ceux que le Père lui a donnés. C’est-à-dire à tous ceux qui sont ses disciples fidèles ; par conséquent cela s’applique à nous aussi.
Ce sont vraiment des paroles d’éternité, des paroles admirables qui révèlent tout à fait ce qu’est réellement Notre Seigneur, Fils éternel du Père. Ce mot « gloire » revient constamment sur les lèvres de Notre Seigneur. C’est le mot qui résume ce que l’Église croit et a toujours enseigné, de l’Éternité et du ciel, de la Sainte Trinité. A tout instant, au cours de nos prières, nous répétons le « Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto« , « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ». Nous terminons la lecture de tous les psaumes par ce « Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto », la récitation se fait plus solennelle, plus lente, parce que cette prière est vraiment ce que nous pouvons dire de mieux au Bon Dieu : gloire à vous !
Que signifie cette gloire ? Cela est difficile à définir, parce que c’est quelque chose d’éternel qui est propre à Dieu et la divinité demeure un grand mystère pour nous.
Je crois que l’on peut penser que cette gloire, cette splendeur, cet honneur qui est dû à Dieu, vient de la richesse de l’Être divin qui contient tout, qui est l’auteur de tout, qui a toute-puissance, qui est éternel, qui est une intelligence infinie, un esprit infini.
Ce rayonnement spirituel a aussi ses conséquences dans les corps. Notre Seigneur l’a montré dans son corps117. Mais il est évident qu’il s’agit surtout de la gloire spirituelle.
Notre Seigneur lui-même dit :
« La vie éternelle c’est de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu et de connaître celui que vous avez envoyé Jésus-Christ » (Jn 17, 3).
Il ne s’agit pas pour nous de nous représenter dans nos imaginations, des lueurs splendides, des lumières comme celle que les apôtres ont vue lors de la Transfiguration, mais une lumière spirituelle, beaucoup plus profonde, beaucoup plus intime, beaucoup plus riche que cette lumière purement corporelle, purement physique. Notre Seigneur demande que lui soit restituée cette gloire qu’il a eue avant que le monde fût.
Mais en fait, Notre Seigneur n’a jamais perdu cette gloire pendant sa vie ici -bas ; simplement, il n’a pas permis qu’elle transparaisse d’une manière habituelle au travers de son Corps118.
Ayant la vision béatifique, et étant le Fils de Dieu, Notre Seigneur ne cessait d’être au sein de la Trinité, d’être dans le bonheur le plus parfait dans son âme, dans son esprit, dans son intelligence, dans sa volonté, dans son cœur. Il est impossible de songer qu’un instant le Fils ne rende plus gloire à son Père et que le Père ne communique sa gloire à son Fils119.
Mais pour les apôtres, Notre Seigneur n’apparaissait pas avec cette gloire d’une manière constante sur la terre et devant eux120. Il demande que son Père lui rende cette gloire corporelle par la Résurrection.
C’est ce dont parle Saint Thomas aussi quand il se demande pourquoi il est dit de Notre Seigneur, qu’il est à la droite du Père.
« Convient-il au Christ de s’asseoir à la droite de Dieu le Père ?
Cela lui convient-il selon sa nature divine ?
Cela lui convient-il selon sa nature humaine ?
Cela lui convient-il en propre ? » (III, q 58).
Pour saint Thomas et d’après saint Jean Damascène, par le nom de droite, on peut entendre la gloire de la divinité :
« S’asseoir à la droite du Père, ce n’est donc rien d’autre que de posséder tout comme le Père, la gloire de la divinité, la béatitude et le pouvoir judiciaire, et ceci immuablement et royalement. C’est là un privilège qui convient au Fils en tant que Dieu… » (III, q 58 a 2).
On peut aussi entendre cette session du Christ à la droite du Père comme étant la dignité communiquée à la nature humaine de Jésus par la grâce d’union personnelle ; ou encore mieux, comme étant
« la grâce habituelle qui est plus abondante dans le Christ que dans toutes les autres créatures, et par laquelle la nature humaine elle-même dans le Christ est plus bienheureuse que toutes les créatures et possède sur toutes les créatures le pouvoir royal et judiciaire » (III, q 58, a 3).
Et saint Thomas peut alors résumer et conclure :
« Le Christ est dit être assis à la droite du Père en ce sens que selon sa nature divine il est égal au Père, et que selon sa nature humaine il possède des biens divins plus excellemment que toutes les autres créatures. Or l’un et l’autre privilège ne conviennent qu’au Christ, donc il n’appartient à nul autre qu’au Christ, ni ange, ni homme, d’être assis à la droite de Dieu » (III, q 58, a 4).
Et il ajoute une considération :
« Le Christ étant notre tête, ce qui lui est conféré nous est aussi attribué en lui. Voilà pourquoi lui-même étant déjà ressuscité, l’Apôtre écrit que Dieu nous a déjà, d’une certaine manière, ressuscités en lui ; pourtant nous ne sommes pas encore ressuscités en personne, mais nous serons ressuscités un jour, selon cette parole de l’épître aux Romains : « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, rendra aussi la vie à nos corps mortels » (Rom 8, 11) » (III, q 58, a 4, ad 1).
C’est suivant la même manière de parler que l’Apôtre écrit encore : « Il nous fait asseoir avec lui dans le ciel » (Ep 2, 6),
« Car le Christ qui est notre tête, est assis, lui, dans le ciel » (Ibid.).
Donc, si nous ne pouvons pas prétendre être assis à la droite du Père parce que nous sommes de pauvres créatures, cependant à travers le Christ, qui est la tête du Corps mystique, nous pouvons avoir ce privilège.
« Qui médite simplement ces élévations de la prière sacerdotale, dit le Père Bonsirven, entrevoit le sentiment de cette unité profonde avec son Père dont le Christ avait conscience ; cette communion totale qui s’exprime dans le don du nom divin et de la gloire divine, a pour source l’amour qui est en Dieu, lequel se répand d’abord sur le Fils unique afin de s’étendre par lui sur les autres enfants de Dieu.
Nous saisissons alors toute la portée des titres donnés à ce Fils : le bien-aimé, le monogène, l’unique engendré, expression qui dit plus que le Fils unique121.
Le terme de consubstantialité peut nous paraître trop technique et philosophique, c’est pourtant le seul qui convienne. C’est à cause de sa consubstantialité avec le Père que toute cette gloire lui est donnée, que le Fils participe vraiment à tous les attributs du Père.
Au sujet de la gloire de Notre Seigneur, le Père Sauvé écrit dans son ouvrage « Jésus intime » : « Le ciel ne sera que le développement complet, l’efflorescence parfaite de la gloire de Jésus. Si nous voulons nous bien pénétrer de cette vérité très importante, qui est bien faite pour nous donner une idée vraie de Notre Seigneur et aussi de notre union éternelle avec lui, de notre éternelle dépendance à son égard, il faut que nous le considérions avec foi et amour sous ses différents aspects ».
Et le Père Sauvé passe en revue tous les titres par lesquels Notre Seigneur a cette gloire et nous la communique, précisément parce que comme homme il est le chef de l’Église triomphante aussi bien et même plus parfaitement que de l’Église de la terre et du purgatoire.
« De même que la divinité et la sainte âme de Notre Seigneur allaient développant dans le cours de son enfance et de sa jeunesse, avec une admirable perfection, le corps de Jésus qu’elles glorifient par leur éternelle influence, de même la sainte humanité va développant dans le cours des temps son Corps mystique, et va le vivifiant et le sanctifiant sur la terre, le purifiant ici-bas et dans le purgatoire, en attendant que dans l’éternité elle l’anime plus parfaitement et le glorifie et le béatifie à jamais.
Le ciel ne sera pas autre chose que Jésus remplissant tous les saints de sa vie, de sa joie, de sa gloire, Il sera tout en tous» (Cf 1 Co 15, 28).
Ces pages sont très belles et nous montrent comment Notre Seigneur, dans son humanité glorieuse, nous communique la gloire qu’il a reçue de son Père.
« Que ce rôle de votre humanité, ô Jésus, me réjouit ; après avoir été ma nourriture ici-bas, elle sera sous votre divinité, ma vie et ma gloire pour l’éternité (…) Quelle est ma folie si dès maintenant je ne puise à cette source intarissable de la grâce, la charité, tous les jours, à chaque heure et surtout à l’heure si féconde des sacrements, de la communion, de l’absolution, afin d’y puiser un jour dans le ciel plus abondamment la gloire et l’amour éternels. Jésus objet de ravissement éternel pour tous les saints, Jésus exemplaire et source de gloire sera en même temps par son Sacrifice, l’âme de leurs adorations, de leurs louanges et de leurs actions de grâces. »
Voilà ce que nous pouvons dire de la gloire de Notre Seigneur et sur la communication dont nous en jouirons – espérons-le – dans le ciel.
Mgr Marcel Lefebvre
In « Le Mystère de Jésus », ch. XXI – P. 133 -138 – Editions Clovis, 1995
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117 Lors de sa Transfiguration. Cf. Mt 17, 1-9.
118 La gloire est non seulement celle de la divinité du Christ, mais celle de son âme humaine constamment béatifiée par la vision béatifique de la divinité. C’est cette gloire humaine de son âme qui aurait dû normalement rejaillir constamment sur son corps en le rendant lumineux, agile et subtil, impassible et immortel, comme les corps glorieux (Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q 45, a 2).
119 « Il faut, dit saint Augustin, qu’associé à nos misères par un corps périssable, il possède une sainteté immortelle de l’âme ; que par cette glorieuse ressemblance, indépendamment de la distance des lieux, il demeure uni aux gloires de la divinité et qu’ainsi il prête à notre purification et à notre délivrance un secours véritablement divin » (La Cité de Dieu, L, 9, ch. 17, n.2).
120 Si la gloire de sa divinité et celle de son âme ne rejaillissait point sur son corps, c’était l’effet d’une disposition divine, explique saint Thomas : « afin que dans un corps capable de souffrir, il accomplît les mystères de notre rédemption » (III, q 45, a 2) ; et aussi afin que Notre Seigneur pût « vivre familièrement avec les hommes et leur donnât ainsi la confiance nécessaire pour l’approcher » (III, q 40, a 1).
121 Les enseignements de Jésus-Christ, p. 414-415.