Note de la rédaction

Nous publions la réponse donnée par le Révérend Père Prieur du Couvent de La Haye-aux-Bonshommes (Avrillé) à un prêtre qui a prêché en faveur des sacres épiscopaux selon le rite réformé, suite au concile Vatican II.

Le sujet est d’actualité puisque la Fraternité Saint-Pie X ne voit plus d’obstacle à faire appel à un évêque issu du modernisme (en l’occurrence Mgr Huonder, qui n’a pas révoqué ses erreurs personnelles œcuméniques du passé) pour consacrer les saintes Huiles (Jeudi saint 2023 à Zaiztkofen), bénir une école en Suisse (14 octobre 2023), consacrer une église en Suisse (Oberriet, le 18 novembre prochain : https://fsspx.ch/de/news-events/calendar/kirchweihe-der-kirche-st-karl-borrom%C3%A4us-am-18-november-2023-85961 ).

Mgr Lefebvre, appuyé sur la doctrine sacramentelle, affirmait lors des sacres épiscopaux du 30 juin 1988, que les sacrements modernistes étaient tous douteux. Les temps ont changé sans doute, puisque les hauts dignitaires de la FSSPX affirment à présent le contraire.

Il n’est donc pas inopportun de produire ici la réponse du Père Pierre-Marie OP, parue dans le Sel de la terre (N° 125, Été 2023, p. 158 – 161)

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Monsieur l’abbé,

Dans votre sermon du 7 mai dernier vous me faites l’honneur de me citer :

Il n’en demeure pas moins que les évêques sacrés dans le nouveau rite sont vraiment évêques, si le sacre de l’évêque est accompli selon le rite officiel, sauf invention capricieuse du célébrant. Les dominicains d’Avrillé [Cfr. Frère Pierre-Marie, Sont-ils évêques ? Le nouveau Rituel de la consécration épiscopale est-il valide ? Avrillé, éd. du Sel, 2006] l’ont démontré ainsi que la revue Si si no no [anno XXXX, n. 9, 15 maggio 2014] dont le sérieux n’est plus à prouver.

La revue« Si si no no » que vous citez contient un article d’Augustinus sur « La validité des sacrements de l’ordre et de la confirmation après 1968 ».

En ce qui concerne la confirmation dans le nouveau rite, l’auteur affirme que celle-ci est valide du fait que « l’huile ne fait pas partie de la substance de la Confirmation », et donc le fait d’utiliser ou non de l’huile d’olive ne change rien.

Cette affirmation est contraire à la position traditionnelle défendue par Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X. Vous dites que « le sérieux de la revue Si si no no n’est plus à prouver ». Si c’était vrai du vivant de don Putti, il faut reconnaître que cela n’est pas vrai de cet article, à moins de prétendre que Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X se sont trompés sur la question de la confirmation depuis toujours.

Pour la validité du nouveau rite de sacre, Augustinus s’appuie sur le fait que « le nouveau Pontifical romain a été examiné par le Saint-Office, alors encore sous la direction du cardinal Alfredo Ottaviani, et, lors de son assemblée plénière d’octobre 1967, il a été déclaré pleinement orthodoxe et donc apte à assurer la validité des sacrements ».

Cet argument a été examiné dans la plaquette que nous avons éditée (Frère Pierre-Marie, Sont-ils évêques ?) à la page 55 et nous écrivions :

Du fait que la réforme ait été examinée par la commission du Saint-Office alors que le cardinal Ottaviani en était le préfet, on ne saurait non plus tirer un argument définitif.

D’une part, nous l’avons vu, Dom Botte s’est arrangé pour que le représentant du Saint-Office soit écarté des réunions de la commission d’examen.

D’autre part, il faut se rappeler que le cardinal Ottaviani a perdu la vue dans les derniers temps de sa charge. C’est sans doute la raison pour laquelle il a commencé par « laisser passer » la nouvelle messe. Il a fallu que Mgr Lefebvre vienne le voir et insiste pour obtenir qu’il revienne sur sa décision et signe le Bref examen critique.

De même que pour la nouvelle messe, le cardinal Ottaviani aurait pu laisser passer d’éventuelles déficiences du nouveau rite de consécration des évêques.

En ce qui concerne mon étude (Frère Pierre-Marie, Sont-ils évêques ?), elle visait à démontrer que les arguments avancés par les sédévacantistes pour prouver l’invalidité du nouveau rite sont infondés.

La conclusion était qu’on ne peut pas prouver l’invalidité du nouveau rite, tel qu’il a été publié par le Vatican.

Mais nous ajoutions à la page 41 :

Nous ne parlons pas de la validité des différentes traductions et adaptations du rite officiel dans les divers cas particuliers : en raison du désordre généralisé, tant au niveau liturgique que dogmatique, on peut avoir de sérieuses raisons de douter de la validité de certaines consécrations épiscopales.

Nous rappelions que Mgr Lefebvre lui-même avait émis des doutes sur la validité du sacre épiscopal de Mgr Daneels, évêque auxiliaire de Bruxelles.

Nous ajoutions :

Il faudrait examiner chaque cas. Devant la difficulté de la chose, l’usage semble prévaloir chez les traditionalistes de réordonner sous condition les prêtres issus de l’Église conciliaire qui reviennent à la Tradition.

Dans le cas présent de Mgr Huonder, il faudrait examiner comment s’est passé son ordination sacerdotale (dans le nouveau rite), sa consécration épiscopale et celle de ses prédécesseurs (Mgr Huonder a été sacré dans le nouveau rite par Mgr Grab, lui-même sacré dans le nouveau rite par Mgr Mamie, lui-même sacré dans le nouveau rite par le cardinal Journet). Pour toutes ces cérémonies, il faudrait se procurer le rituel qui a été suivi, très vraisemblablement en langue vernaculaire. […]

Je vous signale que l’abbé Calderón (Fraternité Saint-Pie X) a publié une étude dans la revue Si Si No No en langue espagnole (numéro 267 de novembre 2014). Il montre que le nouveau rite est « très probablement valide », tout en étant « certainement illégitime ». Cependant, le rite n’a pas les garanties du magistère ordinaire ni du magistère extraordinaire, et l’influence du modernisme introduit une ombre sur ce rite. D’où sa conclusion :

Les défauts positifs et objectifs dont souffre ce rite, qui nous empêchent d’être certains de sa validité, nous semblent – jusqu’à une sentence romaine, pour laquelle beaucoup de choses devraient changer – justifier et rendre nécessaire la réordination sous condition de prêtres ordonnés par de nouveaux évêques et, si nécessaire, la reconsécration sous condition de ces évêques. Il n’est pas possible de subir de telles incertitudes à la racine même des sacrements [1].

Vous dites que « les évêques sacrés dans le nouveau rite sont vraiment évêques, si le sacre de l’évêque est accompli selon le rite officiel, sans invention capricieuse du célébrant ».

Cela semble un peu rapide. Dans le cas de la nouvelle messe et de l’ordination sacerdotale, même si l’on peut être assuré de la validité de la matière et de la forme, il peut y avoir invalidité du rite, même sans invention capricieuse du célébrant et même si le rite officiel est utilisé. Plusieurs motifs d’invalidité peuvent se présenter, mauvaise traduction (rappelons-nous la traduction fautive en de nombreuses messes de « pro multis » dans la consécration du précieux sang), mauvaise intention du célébrant (rendue possible par l’ambigüité des nouveaux rites).

C’est surtout ce dernier point qui semble délicat. En effet, l’abbé Calderón montre que le rite a été modifié pour introduire la nouvelle théologie de l’épiscopat en faveur dans l’Église conciliaire.

Quand on sait que l’évêque est fait pour ordonner des prêtres et que les prêtres sont faits pour célébrer la messe, il n’est pas étonnant que la messe ayant été changée, on ait changé aussi la conception du prêtre et de l’évêque. […]

Il y aurait d’autres questions à se poser à propos de Mgr Huonder, notamment sur sa doctrine. Mais puisque vous n’abordez pas cette question, et qu’elle ne me concerne pas directement, je n’en parlerai pas ici.

Voici les réflexions auxquelles m’a conduit la lecture de votre sermon ; j’espère qu’elles vous intéresseront et vous assure de mon religieux dévouement et de mes prières,

                                              Fr. Pierre-Marie OP +

[1]  — « Validité des consécrations épiscopales réformées par Paul VI », Si Si No No espagnol, novembre 2014, p. 5, 6 et 7.