
par Luce Quenette
***
Il est urgent de s’imprégner de principes catholiques : ces lois sont intangibles et permettent aux chrétiens d’être et de se maintenir dans la vérité. Chaque jour nous voyons le mal du libéralisme effriter les esprits les mieux aguerris autrefois. Le mal est subtile.
A titre d’exemple, Mgr Fellay commença son homélie ce 17 avril pour les funérailles de Mgr Huonder, par ces mots : « Il fit des ponts entre Rome et la FSSPX », avant de continuer que c’était naturel, car « l’évêque est Pontife. Pontifex = celui qui fait des ponts. » Subtile mais tendancieux. Mgr Lefebvre n’eût pas parlé ainsi !
Voici deux citations où deux esprits s’opposent :
« Derrière ceux qui accusent l’Église du Christ d’être rigide, il n’y a que la perversion des faux prophètes qui tentent de s’opposer à la vérité du Christ lui-même. » (Pie XII)
« Attention à la rigidité, il s’agit de la perversion. Derrière la rigidité, il n’y a pas d’Esprit Saint. » (François)
Quant à nous, notre choix est clair et, pour l’illustrer, nous publions ci-dessous un texte de Luce Quenette, fondatrice de l’école La Péraudière (69).
L’essentiel de ce texte magistral est dans ces lignes :
« Prenez les définitions, les déterminations, les précisions doctrinales, le style autoritaire de la Tradition. – Abreuvez votre raison, votre imagination, votre mémoire, votre volonté de cette parole divine, infaillible, sans bavure, qui doit garder votre âme. Où, où la prendre ? Mon Dieu, est-il possible que vous le demandiez ! Mais dans le catéchisme, voyons, dans le CATÉCHISME DU CONCILE DE TRENTE, chaque jour, votre chapitre, vos pages – le contre-poison, la parole faite pour décider à jamais le contenu de la foi, les prières sacrées de la Messe, le Canon, la règle qui ne coule, ni ne glisse, ni ne serpente, mais domine, condamne, ordonne, oblige, redoutable et définitive. » (p. 130)
Le texte de Luce Quenette, écrit en 1970, condamne la mièvrerie, l’équivoque d’une homélie prononcée à Ecône ce 17 avril, ou encore les mots du Pontife qui règne pour quelque temps encore à Rome.
La rédaction, 18 avril 2024
***
CE PENSIONNAT si bien bâti, si bien situé, avec ses classes, son immense réfectoire, sa belle salle d’étude où se penchaient cent têtes d’enfants sages ; ce beau jardin, ces cours bien plantées, et ce gracieux sentier par où les congréganistes, enfants des Saints Anges, enfants de Marie, montaient en pèlerinage à la Grotte de Lourdes fleurie d’églantines… ces belles processions de la Fête-Dieu… ces belles réunions de Notes générales… ces visites de Mère provinciale ! Voyons ! tout cela était réel, consistant, obligatoire ; je me souviens surtout des « rangs », ces longues files silencieuses sous l’œil prodigieux de la Surveillante en chef qui intuitionnait un murmure, le situait, l’épinglait, le terrassait. Quand une jeune nouvelle professeur était engagée pour enseigner quelque matière touchant à la philosophie ou à la religion, elle savait que la maîtresse générale des études, « derrière un voile, invisible et présente » superauditionnait ses propos, dans la crainte de quelque hardiesse, de quelque accroc de doctrine ou de morale.
Je l’ai connu, admiré, et redouté, ce grand pensionnat, qui avait sur ses arrières ce grand Ordre enseignant, ces grandes protections terrestres spirituelles : de l’Ordinaire, de l’Aumônier, de la Mère Générale – (« Notre Mère est chez Madame la Supérieure ! ») et célestes : le saint fondateur, les beaux offices, la belle chapelle et la Sainte Présence, et les promesses et les consécrations à la Sainte Vierge, et la splendeur des professions religieuses – et l’attrait presque irrésistible sur les meilleures, de cette vertu, de cette vie si pure, de ce saint habit, de ces visages sereins, réservés, intérieurs… cet attrait qui envoyait une demi-douzaine de grandes au noviciat, parfois, en fin d’année, d’un seul coup.
Je l’ai connu, il fut – il n’est plus.
C’est inconcevable ! Que disent les murs ? Que pensent les corridors ? On y trotte, on y rit, on y voit les mini jupes, les guitares, on n’y voit pas les grandes : elles sont au collège de garçons, elles reviendront pour le conseil de classe, pour le cours de marxisme, pour Helga et Michaël derrière ou devant des dames qui ont gardé ou lâché tout uniforme religieux. On se passe Sartre, on y discute de « Théorème ». Ce matin, le responsable prêtre était absent, c’est la Sœur qui a ouvert le tabernacle, exhorté à présenter les mains, posé elle-même l’Hostie. Tout le monde a suivi, sauf une, deux, honteuses de leur héroïsme.
Au cours de « religion », raconte une élève de 12 ans à sa mère : « Maman, la Sœur a dit : choisissez un problème et discutez-le entre vous : le péché, la Trinité (peut-être la sexualité), comme il vous plaira, mettez-vous en recherche, je ne vous dirai rien. A vous la découverte ! »
Pourquoi décrire, pourquoi énumérer ? On sait, bien que tout est ravagé, confondu. On rencontre des visages peints de petites femmes précoces – blasés, insolents – et puis de ci, de là, une enfant vraie, intacte, égarée dans ce chaos, de toutes petites encore naïves qu’on voudrait arracher, emporter, préserver…
Et cependant, la supérieure qui préside à cette mutation, à cette révolution impensable est souvent une ancienne élève du temps des rangs, des Congrégations, des silences, des recueillements, des saintes vocations et des saints catéchismes.
L’inconcevable s’est accompli EN DOUCE.
LE MAL QUI DÉSARME PRÉPARE LE MAL QUI RAVAGE.
Désarmées, les écoles religieuses le furent dès avant l’attaque, par leur ignorance. Nous étudierons quelque jour l’invraisemblable niaiserie installée dans beaucoup de communautés enseignantes.
La Révolution va toujours à la violence, elle appelle, par nature, le sang et la destruction brutale, mais elle y marche par une espèce de douceur anesthésiante qui blasphème et prouve cette béatitude : les doux posséderont la terre.
Un pensionnat pieux est devenu une école d’érotisme et de révolution, sans heurts, au milieu des rires, des espoirs, des révisions de vie, et même de l’enthousiasme des parents. Quand ils déchantent, c’est trop tard. On a grignoté, adapté, élargi. Les petites morceaux (ou qui paraissaient tels) : suppression du chapelet, dialogues et catéchismes dialoguants, ont passé pour mises au point exaltantes, libérations de détail – les gros morceaux : mixité, abandon du costume religieux, communion dans la main, pour obéissance méritoire. Il y a eu des inquiétudes, jamais de recul.
Quant aux esprits plus retenus, aux parents plus avisés et pessimistes, on les a aimablement rassurés et désarmés par quelques douces maximes de la douceur révolutionnaire :
Par exemple :
– nous ne sommes pas au pied du mur ;
– les changements ne touchent pas l’essentiel ;
– plutôt que de se croire seuls détenteurs de la Vérité, il vaut mieux souffrir et obéir ;
– ceux qui permettent ces changements ont la grâce, moi, je ne l’ai pas ;
– une humeur rigide et résistante trouble les âmes ;
– le Pape est si bon qu’il ne veut pas punir, et permet ; imitons, sa bonté.
Ces quelques phrases (toujours les mêmes, et qui ne datent jamais !) placées avec adresse au milieu des discussions, des indignations, des étonnements produisent un apaisement magique, un désarmement efficace, une lassitude favorable à toutes les acceptations, et progressivement une reposante anesthésie.
*
Prenons le pied du mur. Un mur et sa base, c’est dur et visible, d’ordinaire. Pas celui-là. Mais mouvant et insaisissable. Le pire est arrivé = la Messe atteinte. Bah ! elle était rongée, déguisée, depuis si longtemps, que les cœurs insensiblement préparés « l’avalent », comme le reste. Le mur a fui…
Il est symptomatique que des maisons religieuses qui, jusque-là se donnaient comme refuges et comme remparts, ont méprisé cette pauvre permission de Messe de Pie V latine, quand cependant leur communauté remplissait toutes les conditions prévues ;elles ont adopté EN DOUCE, avec empressement, quelquefois sous couvert de latin, la Messe altérée du nouvel Ordo. A partir de là, la glissade est engagée, continue.
C’est une chose étonnante que la répugnance de beaucoup de personnes (prêtres ou gens pieux) à parler de cette pauvre humble possibilité, de cette protection du latin. Quand on l’invoque, on se sent importun. On est bien mieux écouté quand on déplore la fatalité, l’apparente « irréversibilité » de l’affreuse « mutation ». Goût étrange pour la glissade sans remède.
*
L’ « essentiel » que bien peu définiraient, est aussi volatil que le pied du mur. Mœurs, autorité, dogmes, tout est attaqué, ou pourri, ou réduit, et l’essentiel qui suffit, se conserve par miracle, intact ! Si l’on veut dire par là, que Jésus-Christ n’a pas abandonné l’Église, que les portes de l’Enfer n’auront pas le dernier mot, cela est de foi. Mais on refuse de comprendre que cet essentiel absolu, inchangé, gardé dans l’assistance divine, se révèle aux simples fidèles par « les accidents » : cérémonies, prédications, traditions, prières, usages, préceptes, défenses, condamnations, sanctions – et que si tout cela est changé, altéré, l’essentiel n’arrive plus aux âmes pour les sauver, et la continuité des changements les enveloppe pour les perdre en leur persuadant que l’essentiel, lui aussi, est relatif, inexistant.
Mais il s’agit d’endormir les résistances, et, le pied du mur jamais atteint, et l’essentiel toujours bien portant, insinuent chaque jour cette gangrène d’optimisme.
*
Comme cette hypocrite humilité qui ébranle la fierté de la foi : « Ne vous croyez pas seul possesseur de la Vérité ! » Quelque chose de honteux, de visqueux, désarme alors le défenseur de l’Église éternelle. On le disqualifie, on le diffame à ses propres yeux. Il se trouble et ne pense pas à répondre que l’humilité du fidèle, c’est celle d’un dépositaire d’un enseignement infaillible, qu’il n’a pas fait, mais reçu dans son catéchisme.
On lui conseille de souffrir en obéissant. On se sert de la Croix de Jésus-Christ pour l’abrutir. Comme si « souffrir » avait une valeur en soi et absolue. Mais souffrir pour souffrir ne sert de rien. C’est l’amour de Jésus-Christ et la Foi qui doivent animer la souffrance pour qu’elle soit précieuse, unie à la Sainte Passion. Souffrir d’accepter l’erreur et la destruction progressive de la foi, c’est pécher et non mériter. Obéir aux désobéissants, c’est désobéir. Et donc, au lieu d’endormir dans la passivité, il faut réveiller l’intelligence pour la difficile distinction entre ce qui est dû au pouvoir parce qu’il est légitime, et ce qu’il faut lui refuser quand il est injuste.
Mais la douceur de la subversion résigne et endort ce Vigilate si laborieux avec la stupide maxime : Souffrir est toujours bon. Enfin, ce « souffrir » là, est-il si souffrant ? Bien moins douloureux, en vérité, que le combat, le discernement, et le refus de toute altération de la Foi ; l’anesthésie de l’habitude gagne vite le cœur et, d’étape en étape, dans le sommeil, il se durcit.
*
Autre doux argument :
« Ils ont la grâce »… ceux qui nous ont enseigné « que le tutoiement de Dieu est une marque de respect, la suppression des génuflexions à la Messe, un signe d’adoration, le gigot du vendredi, un renforcement de la pénitence, la mixité dans les séminaires un affermissement des vocations, etc. et aujourd’hui nous assurent que « la Messe à la Maison » autour d’une table sans pierre d’autel, cet « émiettement de l’Église » accroît sa cohésion. » (Édith Delamare.)
Cependant, il est vrai que du sommet romain jusqu’au dernier curé de paroisse en train de faire équipe, « ils ont la grâce », tous ordonnés régulièrement, tous délégués comme il le faut depuis le siège de Pierre. Et d’abord ils ont le pouvoir de consacrer, d’absoudre, ils sont ministres des Sacrements – le saint caractère ne peut leur être ôté, ni, pour ce caractère, la certitude et le respect de nos cœurs catholiques. Ils ont aussi la grâce de bien remplir leur ministère. Je veux bien le proclamer, avec la nécessaire précision du Catéchisme. Cette grâce est suffisante, spéciale, à chacun d’eux destinée, et beaucoup y répondent au milieu d’inextricables difficultés. Mais, pour un évêque, comme pour tout homme en ce monde, avoir la grâce ne signifie pas : répondre à la grâce.
La grâce est prête, grâce éminente d’enseignement et d’édification, abondante de la part de Dieu qui envoie, non forcément féconde de la part du ministre qui la refuse et la « stérilise ». « La Grâce n’a pas été stérile en moi » dit saint Paul, ce qui suppose que l’Apôtre sait bien qu’il pouvait la négliger. Qu’on mesure l’abdication de l’intelligence de ce « ils ont la grâce » advienne que pourra ! la cruauté de cette indifférence pour les âmes en perdition, pour son âme à soi, aveuglément conduite, endormie dans la sécurité d’un optimisme absurde.
Et le fidèle aussi « a la grâce » pas la même, hélas, le prêtre, irremplaçable, lui manquerait toujours, mais il a la grâce du baptisé, du catéchisé, du soldat du Christ. Un fidèle, fidèle à sa grâce, est éclairé bien suffisamment pour affirmer que « des initiatives liturgiques » telles que l’hostie saisie dans la main « sans autorisation », telles que des messes sur table de salle à manger, initiatives « répandues trop loin et qu’on ne peut plus arrêter », ne sont pas une raison valable pour « être normalisées par une permission » (paroles du Cardinal Gut, Doc. cath., nov. 69), mais pour être interdites et punies.
Que le doux cardinal Gut soupire que le Saint-Père « dans sa bonté et sa sagesse, a alors cédé, souvent contre son gré » ne nous engage qu’à déplorer la douce stupidité d’une telle explication. C’est trahir le bon sens, abrutir le jugement, que d’admirer un gouvernement parce qu’il cède contre son gré à l’abus de confiance. Admirer le Pape pour cela, si cela est, c’est bien avilir la piété envers l’autorité de Pierre jusqu’à la plus basse flatterie.
Imiter cette abdication (si abdication il y a) en famille, à l’école, entre amis, cela se fait couramment, la Révolution le prêche et s’en nourrit, mais c’est vouloir la mort spirituelle des gouvernés. Appeler la faiblesse de l’homme « sagesse et bonté », quel apport au désarmement des âmes ! Quelle douce glissade révolutionnaire, insensible, confortable avec ce ton édifiant, secret du style pieux !
Secret du style « pieux » !
*
Parlons maintenant de la « rigidité ».
Je dis qu’il faut préserver et avertir les enfants – je dis que la Communion dans la main a été extorquée – que cet Ordo est un risque, un chemin, une pente vers l’hérésie (je ne dis pas qu’il est, de soi, invalide) ; qu’il exige une réserve permanente dans le consentement, qu’il convient de ne pas sous-estimer la faculté de célébrer en latin l’authentique Messe. – Quelqu’un m’accuse d’être RIGIDE et de troubler les esprits.
Dans le processus révolutionnaire qui désarme, cette accusation est normale, puisque la flexuosité serpentine jusqu’à la contradiction est constitutive de la douceur révolutionnaire. Et instantanément, on nous oppose un absolu provisoire et trompeur : la tranquillité des gens. Troubler en avertissant d’un danger mortel, troubler en disant : le flot va vous emporter, ou : voilà l’incendie, c’est rigide. C’est manquer de souplesse. Comme si le choc, le réveil, la surprise, l’émotion ne sont pas les avertisseurs naturels. Dire qu’il faut sauter, nager, résister, voilà le mal ? et non pas le naufrage et la noyade ? Cette paix trompeuse qui est le sommeil dans le désordre, l’ordonnance (et non l’ordre) apparente de la pourriture, Notre-Seigneur l’a maudite quand il a dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. – Ma paix [qui est tranquillité de l’ordre] n’est pas celle du monde. »
Mais « rigide » désarme.
On n’ose pas répondre : « En révolution, seules les âmes fermes sont préservées, ce sont les accrochés sans défaillance, les crochetés à l’Absolu que le vent révolutionnaire n’emportera pas. »
L’idolâtrie stupide de la jeunesse aide beaucoup à cette mauvaise honte des soi-disant « rigides ». On l’a dit « une génération nouvelle est invasion de barbares qu’il faut gouverner et civiliser ». Au contraire, en notre temps, c’est un dogme cher à la religion de Saint-Avold que les jeunes sont nos instructeurs de réalités, nos révélateurs et nos prophètes. Or le jeune trouve rigide tout ce qui canalise sa barbarie naturelle. Et l’adulte, même intégriste, rougit de ne pas plaire à cette jeunesse chargée de l’engendrer !…
*
J’en reviens au secret du style « pieux ».
Tout le désarmement en douce se fait en style « pieux ». Avec la quête, c’est cette gomme tartufe qui subsiste sans altération. Tenez : la note de la Commission épiscopale, au sujet des Messes de groupes : style dévot pour décréter l’émiettement de l’Église. Ces messes « par la formation chrétienne que l’on y donne et par la prière qui s’y exprime, peuvent beaucoup aider les participants dans leur vie de foi, leur intégration ecclésiale, leur engagement apostolique »… C’est la cadence ronflante du vide. Mais du vide dit « pieux ». Les « groupes » dont les initiatives ont mis en route de tels sacrilèges ne vont pas méditer cette pommade ecclésiastique. Ils ont « la perm »… ils s’en passaient, cela suffit ! Les voilà « normalisés à coups de style hermétique et papelard : « Ce sera la célébration qui sanctifiera la salle à manger, plutôt que les bâtiments consacrés qui sanctifieront la cérémonie. » (Mgr Illich de Cuernavaca).
On s’en voudrait d’analyser de pareilles nuées. Alors ? c’était l’église en pierre, bâtiment consacré, qui sanctifiait la messe… l’église d’avant la salle à manger… ?
Depuis l’aggiornamento, nous l’a-t-on assez répété, qu’il fallait l’assemblée de tous, la communauté ! malheur aux repliés, aux séparés, il faut tous s’embrasser à l’église ! – et puis, soudain, du même style, on nous prêche « la rencontre personnelle de familles autour d’une table plutôt que l’assistance d’une foule anonyme autour d’un autel. » (Toujours Mgr Illich, dans Esprit, cité par Édith Delamare.)
Tartuffe résume si bien cela :
Selon divers besoins, il est une science,
D’étendre les liens de notre conscience…
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire,
Vous n’aviez seulement QU’A VOUS LAISSER CONDUIRE !
Molière, en quatre vers, nous donne une vue d’ensemble de la « douceur offerte à qui rend les armes » à la religion de l’homme.
Les pauvres âmes ne devraient pas se laisser prendre à ces propos aussi douceâtres que contradictoires. Car la cruelle réalité s’y montre pourtant. Tout d’un coup, intervient le style terreur.
C’est Radio-Vatican, quand il s’agit du Comité italien qui recueille des signatures pour demander à Paul VI d’abroger le nouvel Ordo Missæ. – Oyez le ton d’Attila Vertueux :
« Voulez-vous être sûrs de désobéir au Pape : signez ! »
Se trouvera-t-il encore des terrorisés pour croire légitime une telle férocité ? émanée de quelle autorité ? De quel côté sont donc les « rigides » ? Mais pour annoncer ce coup de matraque, le Journal la croix emploie encore la gomme dite « pieuse ».
*
Nous avons autre chose à dire sur la douceâtrerie de ce style pseudo-religieux qui en impose aux faibles.
C’est un secret d’hypocrisie. Mais enfin, la recette s’apprend, et il n’est pas besoin de génie, du génie de Molière faisant parler Tartufe, pour savoir manier de grandes phrases lénifiantes, piégées, comme tant de déclarations épiscopales et autres. C’est à s’y méprendre.
Nous allons faire un exercice – un exercice comme on fait en classe de style ; « à la manière de… » Qui devinera sans être averti ? Je cite :
« Nous applaudissons avec enthousiasme aux intentions de ce Pape, grand par l’intelligence, comme nous avons approuvé celles de son prédécesseur, grand par les vertus du cœur. Nous souhaitons ardemment que se réalise l’Unité de la Chrétienté. Nous sommes résolument en faveur de tout ce qui rapproche et déplorons tout ce qui divise. »
[Hein ! que c’est bien dit ! Quel accent de charité, quelle pieuserie authentique !]
« Le monde entier est plongé dans l’angoisse et il cherche avec affolement, à travers les désordres enfantés par notre temps de transition, une lueur annonciatrice d’une nouvelle aurore. »
[Ça sent son encyclique ! C’est apaisant !]
« Elle viendra [l’aurore]. Malgré les apparences, il ne nous semble pas possible que l’humanité s’enfonce dans le matérialisme. Les hommes ne peuvent pas vivre et l’humanité ne peut pas progresser sans foi, sans espérance, sans amour. »
[C’est bien ainsi, c’est prenant !]
« Nous pensons avec X [je vous dirai après qui est X parce que vous devineriez, sans doute, qui a écrit ces belles choses] : jamais peut-être, l’humanité ne s’est trouvée à la fois plus détachée de ses formes passées, plus anxieuse de son avenir, plus prête à recevoir un Sauveur.
« Nous appelons cet avenir de toute l’ardeur de notre espérance. Il ne se peut pas d’ailleurs qu’il contredise à notre tradition, qui est la tradition composée des lois universelles et éternelles. »
[Vous sentez comme c’est généreux ! Où avons-nous entendu cette manière-là… est-ce copie ? est-ce original Si vous n’êtes pas déjà dégoûté, c’est que vous subissez le désarmement progressif.]
« Qui prononcera les paroles d’un Évangile élargi qui aura l’homme à sa base, la Puissance suprême à son sommet et qui placera entre cette base et ce sommet l’entité humaine vivante tout entière ? »
… « Il apparaît à Rome que les Évêques du monde entier, s’ils se préoccupent avant tout de réunir les disciples du Christ, regardent prudemment, mais fermement, beaucoup plus loin. La question des relations avec le judaïsme est posée. Nous en parlons à cause de la courageuse initiative du Cardinal Béa. C’est donc vers un universalisme de plus en plus vaste que les Évêques semblent se diriger. »
« Nous espérons que le monde chrétien retrouvera son unité… De tout cœur nous souhaitons la réussite de la « Révolution » de Jean XXIII.
« Lorsqu’une Société traverse seule les siècles parmi les orages qui ont fait éphémères toutes les autres œuvres des hommes, il y a en elle une vertu mystérieuse, ce que le poète appelle « une musique intérieure ! »
Cette Société, pensez-vous que ce soit l’Église une, sainte, apostolique, catholique et romaine ?
Que vous êtes loin !
Avez-vous deviné ? : C’est la FRANC-MAÇONNERIE ([1]).
Et c’est dans le livre de Yves Marsaudon, baron et ministre d’État du Suprême Conseil de France, rite écossais ancien et accepté, que j’ai pris ces passages « pieux », indiscernables de tant de propos, décrets et déclarations ecclésiales actuelles. C’est la « musique intérieure » du même style. C’est que le baron Yves, Marie, Antoine Marsaudon fut élevé dans le catholicisme ; à quatre ans, nous dit-il, sa maman le posa sur les genoux de Sa Sainteté Léon XIII. Il prétend avoir été le familier du Cardinal Roncalli qui l’aurait appelé « mon petit Marsaudon ». De là, de telles dispositions au style pieux de notre temps – au ton dévot, à la douceur, désarmante, s’il en est. Ce livre : L’Œcuménisme vu par un Franc-Maçon de Tradition mérite une étude vigoureuse. C’est un gros « Signe des Temps ». Moi, je m’en tiens au « ton désarmant ».
Chacun des chapitres comporte une épigraphe, soit de l’Écriture Sainte, soit du Rituel franc-maçon. Le chapitre « Jean XXIII » est ainsi annoncé : « Chargez-vous de mon joug, recevez mon enseignement, car je suis doux et humble de cœur. » (St Mat. XI 29.)
Pour Pie XII, le ton est demeuré charitable, indulgent, modéré. On est contre « le Vicaire ». Mais pour le bon Pape jean, c’est la ferveur. Je laisse à de plus renseignés que moi le travail de démentir les faits cités sur l’amitié prétendue du Pape pour les Francs-Maçons. Je marque encore l’excessive douceur du ton, genre biographie édifiante à tout prix. Le Pape Jean est défendu contre toute critique, toute accusation – le Concile, célébré comme le désirent ses plus ardents partisans :
« Pour la première fois depuis les sept Conciles, on vit l’ensemble de l’Épiscopat romain revivre vraiment les premiers siècles de l’Église et les Évêques se souvenir enfin du côté en quelque sorte pentecôtiste de leur caractère et de leur mission. Ces descendants des Apôtres, ces fils des premiers Chrétiens n’acceptèrent pas des débats de pure forme… » mais visèrent « assez haut, assez loin, pour que tout problème humain soit ramené à de plus justes mesures… etc. » (page 52).
Laurentin dirait moins bien.
Même le cardinal Ottaviani est traité avec une délicatesse verbale remarquable (p. 53). Que dire du chapitre V, page 57 ? : « La mort d’un Saint » (Jean XXIII) – « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. » (Sermon sur la montagne.)
… « Le Grand Maître de la Grande Loge Nationale française, rite d’York, fit part au Vatican du chagrin de son organisation et des sentiments de ses membres, exprimés au cours des « Réunions de Prières » etc. etc. »
Le chapitre VI intitulé « Et maintenant », avec en exergue : Ad dissipenda colligenda. (Rituel du Grade de Maître Franc-Maçon, devise personnelle de l’auteur) : c’est l’Œcuménisme – l’admirable Église Catholique « ne peut survivre et se défendre que par l’Unité ! » Lisez : l’union avec toutes les religions et avec les frères séparés, maçons. « Le mouvement est en marche… positions fermes en faveur de la Paix, soutien des peuples sous-développés… les Églises apparaissent sous un tout autre jour… »
« C’est de tout cœur, de tout son cœur de chrétien et de Franc-maçon, que le modeste narrateur… (nous pourrions dire le plus humble de tous) souhaite un succès total au rassemblement des chrétiens du monde entier ! »
L’enthousiasme est grand pour toutes les démarches de Paul VI : Jérusalem, Bombay…
« Oui, Paul VI ira vraisemblablement beaucoup plus loin que son prédécesseur, il se tient en colloque apostolique avec le monde moderne… il marche sur les traces de Jésus…
« Il est évident que l’Église la plus dogmatique devait un jour disparaître ou s’adapter, et pour s’adapter, revenir aux Sources… »
Et cette incantation, aussi « pieuse » que poétique :
« Nous souhaitons que nos amis catholiques se détournent à tout jamais des lambris dorés de Rome, des préoccupations politico-financières de la Curie… des « bureaux » du Vatican, pour se souvenir que le lac de Tibériade existe toujours, que le Sermon sur la Montagne, malgré une longue parenthèse (!) peut encore sauver le Monde… »
Croyez-vous que beaucoup de nos prélats sont plus édifiants ou plus limpides… sur le même sujet… ?
La conclusion, infiniment douce, s’impose :
« Que les Chrétiens se défassent d’un complexe minoritaire… qu’ils se souviennent que tout chemin mène à Dieu, et qu’ils se maintiennent dans cette courageuse notion de la liberté de pensée, qui, on peut vraiment parler là de révolution, partie de nos loges maçonniques, s’est étendue magnifiquement au-dessus du Dôme de Saint-Pierre ! »
« Nous souhaitons union prochaine… à tous les chrétiens dignes de ce nom ; enfin, comme le Pape Paul VI, à tous les hommes de bonne volonté. »
Peut-on blasphémer avec plus de grâce, un automatisme mieux téléguidé, car M. le Baron Yves Marsaudon est employé par la Révolution en ce qu’elle peut tirer de lui : le langage « pieux », connaisseur du style pseudo-catholique.
« Ce ne sont point les hommes qui mènent la Révolution, c’est la Révolution qui emploie les hommes. On dit fort bien quand on dit qu’elle va toute seule. » (Joseph de Maistre, Considérations, p. 21.)
Oui, ce livre est effrayant, il apprivoise, il atténue, il efface, il désarme – il résume la douceur affreuse de cette paralysie progressive qui mène à la mort insensible, à une « euthanasie » de l’Église.
Il reste que les portes feutrées, garnies, huilées de l’Enfer ne prévaudront pas. Il reste la foi, si elle est rude et absolue, sinon tout est prêt, au dehors et au dedans, pour la dissoudre, et la coaguler au monde. Solve, coagula.
*
De la même façon que Radio-Vatican crève le nuage de « sagesse et de bonté » par son invraisemblable et très authentique : « si vous voulez désobéir au Pape : signez ! », M. Jacques Mitterand, Grand Maître du Grand Orient de France dans l’interview qu’il a donné à Paris-Inter le 2 novembre, crève le nuage de sublime patelinage du baron Yves Marsaudon.
Eh ! cela fait du bien.
« Nous, Francs-Maçons, sommes des humanistes, c’est-à-dire que nous nous intéressons à l’homme avant tout.
« Nous sommes pour la pensée libre ; chez nous, il y a des radicaux, des socialistes, des anarchistes, des communistes.
« Les catholiques aussi peuvent venir chez nous. Quand quelqu’un qui croit en Dieu vient à nous, nous lui posons une seule question : « Est-ce pour vous un dogme que cette croyance en Dieu ? » S’il répond « Oui », nous ne l’acceptons pas parmi nous parce qu’il est « fixé » ; nous sommes pour le progrès constant, la recherche constante et infinie. D’où nous sommes pour la contestation permanente, en particulier dans la jeunesse. En fait, vous le voyez, pour nous, il n’y a rien d’immuable.
« L’Église nous a excommuniés ; depuis 1738, tous les papes successivement nous ont excommuniés, sauf les deux derniers, parce que maintenant, excommunier n’a plus aucun sens. Bien qu’excommuniés, nous avons d’ailleurs toujours eu des évêques et des prêtres dans nos loges.
« Dans le Concile, il faut considérer, non pas les discours des Pères, mais les actes ; celui où l’on traite de nous se termine par une petite phrase : « L’Église est seule maîtresse de vérité » que nous ne pouvons accepter. L’Église ne veut donc pas le dialogue. » (Ordre Français ; janvier 1970, page 25.)
Rafraîchissant, ne trouvez-vous pas ?
Ça soulage l’angoisse, en la fixant.
*
Il est donc bien vrai que pour le grand nombre des honnêtes gens, une visqueuse douceur insinue la Victoire de la Révolution – parce que « la crainte » occupe le fond de leur cœur.
« La crainte est un état d’esprit, un amoindrissement du pouvoir actif de l’être, presque une maladie mentale. » ([2])
Les cœurs qu’elle possède supplient qu’on les rassure, Qu’Itinéraires ou, si vous voulez la modeste Lettre de le Péraudiére, jusque-là prophètes de malheur, adoptent brusquement un ton rassurant, quelque peu arrangeant, concessif, appellent « rigides » ceux qui maintiennent le Missel Romain, ils perdront les durs ; mais se précipitera vers eus la foule des inquiets, en quête de rassurance.
Douceur entrante de Révolution, « revanche d’Érasme ».
Certains lecteurs déplorent que l’hérésie ne soit pas claire en 1970 comme au XVIe siècle. Là, au moins, dit-on, on savait à quoi s’en tenir. Vue bien naïve – l’hérésie ne parut tout de suite qu’aux yeux bien perspicaces.
Dans une étude très intéressante sur Érasme (Écrits de Paris, octobre 1969), Marcel Signac montre qu’au début, il n’y avait pas des « croyants » et des « incroyants », mais des étroits et des larges. Plus tard, « les protestants, puis les contre-réformateurs, multiplièrent les catéchismes, les confessions de foi. Conciliateur né, Érasme fuit, comme la peste, les définitions étroites… Quelle était au juste la croyance d’Érasme… dont la foi chrétienne est certaine et profonde ? On peut faire une liste de ses critiques, de ses antipathies, de ses enthousiasmes… Pèlerinages, processions, reliques, assurément, Érasme n’en veut point.
Du culte des saints, il laisse peu de chose. La Vierge, selon lui, n’est pas mère de Dieu, mais seulement, humainement, mère de Jésus. L’Enfer ? Ses feux sont métaphoriques. L’efficacité des Sacrements ? Hum !… Les ordres religieux, le sacerdoce lui-même ?… Bref ! pratiquer la religion, c’est prier Dieu, être charitable, juste et pacifique comme le bon Grandgousier de Rabelais… et le reste, cérémonies et détails du dogme, n’a pas beaucoup d’importance… « Pendant les vingt premières années du siècle, tout empreintes d’optimisme, l’entreprise d’Érasme a chance de réussir. Sous le nom de christianisme, c’est presque une autre religion qu’on va mettre… A la réforme érasmienne, d’autant plus insidieuse qu’elle ne se donne pas pour une réforme, les meilleurs esprits sont acquis… il n’est que d’attendre, et bientôt, par simple jeu du temps, les érasmiens seront cardinaux, voire pape et tout se fera en douceur… »
Mais Luther se lève : « Biaiser, patienter, ce n’est pas sa nature. Il affiche ses thèses à Wittenberg, il brûle la bulle du Pape, à Worms, il tient tête à l’empereur. Érasme tente d’empêcher sa condamnation.
« Tu m’as fait perdre, lui fait-on dire à Luther, en un moment, tous mes labeurs depuis trente ans. »
L’hérésie violente de Luther ruine la douce réforme d’Érasme. Le jeu est fini. « Ce que Luther a attaqué, les catholiques le maintiendront d’autant plus fermement. » Célibat, latin, culte marial, culte des saints, primauté du Pape ; le Concile de Trente définira, arrêtera, fixera. – Le temps du doux réformisme est passé.
1969-1970 : « L’Église catholique bouge de nouveau – le protestantisme n’apparaît plus comme un danger… il est stabilisé… on y voit reparaître des embryons d’ordres religieux (Taizé) ; l’anticléricalisme en France a disparu… les luthériens en Hollande sont conservateurs… On est rassuré. On rit des séparations, des oppositions d’autrefois. Changer la pratique religieuse n’apparaît plus comme une concession à l’ennemi. Il y a de l’Érasme chez un Teilhard de Chardin ; l’Église n’est plus forteresse assiégée. C’est la démobilisation…
« Dira-t-on qu’il y a aussi de l’Érasme dans le progressisme chrétien vulgaire d’aujourd’hui : les aumôniers mariés, la pilule bénie, la messe dansée, le latin honni, l’Eucharistie dans la main, la dissolution du dogme… Érasme ne visait pas si bas… Mais la tactique est comparable : la réforme par l’intérieur, bien plus efficace que le schisme et l’hérésie déclarée du robuste Luther…
« La tactique de nos progressistes chrétiens, leur façon de progresser à couvert, d’écarter les accusations par des références qui désorientent les simples fidèles – de dénoncer au contraire ceux qui résistent, de les isoler… (de les diffamer), elle est saisissante de déjà vu. Caricature d’Érasme – mais preuve qu’à déprécier rites et dogmes, on aboutit à énerver la croyance… la religion ne fait plus que bénir le monde… aumônerie de la Révolution et bientôt, de la chiourme marxiste… »
Glissement, insinuation, pénétration, duperie, une douceur confuse et délétère, une vapeur d’Enfer, que je ne dirais pas subtile, mais lourde, empoisonnée, mazoutée, voile et déforme l’éternelle Vérité, altère le Sacrifice Saint sans lequel la terre est livrée à Satan.
Résister, résister, comment ? Une seule réponse. Un refrain répété, répétable sans satiété :
Prenez les définitions, les déterminations, les précisions doctrinales, le style autoritaire de la Tradition. – Abreuvez votre raison, votre imagination, votre mémoire, votre volonté de cette parole divine, infaillible, sans bavure, qui doit garder votre âme. Où, où la prendre ? Mon Dieu, est-il possible que vous le demandiez ! Mais dans le catéchisme, voyons, dans le CATÉCHISME DU CONCILE DE TRENTE, chaque jour, votre chapitre, vos pages – le contre-poison, la parole faite pour décider à jamais le contenu de la foi, les prières sacrées de la Messe, le Canon, la règle qui ne coule, ni ne glisse, ni ne serpente, mais domine, condamne, ordonne, oblige, redoutable et définitive.
Si l’Église est vivante ?
Mais Elle déborde de Vie divine. – Il faut seulement savoir trouver « les sources du Sauveur », aquas Salvatoris ; par exemple chanter Magnificat pour l’existence des six mille prêtres espagnols. Six mille, unanimes, qui savent et vivent qu’on ne saurait être coupable en restant fidèle à la Messe catholique du Missel romain. – Des prêtres « qui ont obéi toute leur vie en se taisant » et voient dans leur obéissance même « leur strict devoir d’élever la voix ». Le cœur de ceux-là, indomptable et saint, n’éprouve pas même la tentation de glisser dans la douceur gluante de la Révolution. Ni le cœur de cet Évêque, Son Excellence Mgr de Castro Mayer, évêque de Campos, Brésil, quand il écrit dans sa lettre pastorale de doctrine toute pure, simple, lumineuse :
« Nous sommes membres de l’Église et vivons de l’Église, mais nous sommes vivants, dotés de personnalité, de raison et de volonté propres et, par conséquent, responsables de nos actes… Il n’y a pas de salut collectif… cultiver la charité ne veut point dire tolérer les vices du prochain. Tout au contraire, la charité veut l’énergie et la bonté pour obtenir l’amendement véritable du pécheur. Bien des personnes ne savent pardonner les offenses personnelles… et ont une bénignité sans limites quand les offenses atteignent Notre Seigneur dans sa Doctrine et sa Morale. »
Si, tout pénétrés du Catéchisme, sûrs de la doctrine, et aussi sûrs « d’être doués de raison, de volonté, responsables de nos actes » nous devenions enfin hommes d’esprit, femmes d’esprit, c’est-à-dire si nous savions ce que parler veut dire, si nous acquérions sagacité, perspicacité – comme j’en vois encore chez des paysans que je connais (rien n’a pu les ébranler et ils ont craché « les douceurs offertes »)… Si nous étions bien sûrs que tout ce qui arrive est de la permission de Dieu pour le bien de ceux qui veulent en profiter, pour le bien des élus, pour le témoignage de notre foi, Satan se retirerait et le trouble avec lui.
Tenez, si nous étions avisés comme la Cananéenne ! (Évangile du jeudi de la première semaine de Carême, St Mathieu XV 21, 28). Elle criait, cette femme de Tyr ou de Sidon, un prière excellente. Et Jésus non respondit ei verbum, pas un mot. Alors, les apôtres qui n’étaient, en ces jours, ni sagaces ni perspicaces, ni gens d’esprit, crurent comprendre, furent assurés de comprendre, qu’elle était importune et qu’elle ennuyait le Maître.
C’est pourquoi, en toute sécurité, sûrs d’être, cette fois, d’accord avec son humeur, rogabant eum, insistaient pour qu’Il la renvoyât – car « clamat post nos » : elle crie derrière nous. Comme si Jésus était sourd et ne l’entendait point.
Il se plût encore à faire semblant de leur donner raison en disant bien fort : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ».
Mais elle, qui avait de l’esprit, une intelligence véloce et intuitive, une certitude de foi miraculeuse, négligeant tous les autres, et FORTE CONTRE LUI, venit et adoravit eum : Seigneur, secourez-moi ! Elle se savait capable de lutter et de l’emporter. Elle Le connaissait (d’un seul coup) et savait qu’il ne faut point se prendre à son silence et à ses refus (comme la Sainte Vierge à Cana).
Sa confiance est armée ; Jésus lui-même feint de la désarmer et décourager : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens ! » Dureté, refus injurieux ? Épreuve. Sentiment des Apôtres : « Comme c’est vrai, comme Il en a assez, comme Il la rabroue ! » Appeler chiens ceux qui supplient ! Bah ! l’injure qui devait l’irriter, l’éloigner à jamais, vexée, désespérée, l’anime et l’inspire. « At illa dixit. – Mais, au contraire, elle dit ». – Ferme dans la bataille elle sut répliquer. – Etiam Domine ! En effet, Seigneur. Il est vrai, mon Dieu, je n’aurai garde de vous contredire, je vous prends sur le fait, je vous vaincrai, Maître, sur vos propres paroles. Vous avez raison !
Quel art d’humilité, quelle grâce, quelle bonne humeur indomptables ! Chien je suis, et même petit chien – catellus – justement, et de bon cœur, car « les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Les disciples, élus du Seigneur, fils d’Abraham, et « maîtres » instruits avant tous les païens (« car le salut vient des juifs ») écoutaient et gravaient en leur mémoire ce piquant duel d’adoration et d’esprit. Elle était seule contre le Seigneur, sans crainte, sans peur, avec sa foi surnaturelle (une Phénicienne !) et son à-propos éclairé d’amour.
Vaincu, ébloui par tant de gracieuse et tenace humilité, le Seigneur des Seigneurs se rend à sa créature qui l’a si bien deviné. L’enthousiasme, comme étonné (ô mystère !) vibre dans sa réponse, et la prodigieuse soumission du Dieu fort ne reprend l’avantage que par une magnificence de courtoisie : ô femme, ta foi est grande ! A d’autres, Il a dit « Ta foi t’a sauvé ». A cette belle joueuse qui lit dans son Cœur, Il dit royalement : fiat tibi sicut vis : qu’il soit fait comme tu veux.
Faisons-nous l’âme incorruptible, vainquons hardiment le Seigneur endormi, tirons par la foi éclairée, instruite, (humiliée, persécutée) avantage sur le Dieu tout puissant.
« O Domina, Dei Genetrix, Maria, et incorrupta Mater Dei et hominis, non meis, sed tuis armatus meritis, cum isto Viro, scilicet Verba Dei, luctari cupio ! »
Invraisemblable, audacieuse prière à dire avec la Cananéenne, avec le vieux Rupert qui l’a inventée et Grignion de Montfort qui l’a citée : Prière pour réveiller le Sauveur :
« O Domina, Dei Genetrix, Maria incorrompue, incorruptible, Mère de Dieu et de l’Homme, non point avec mes pauvres mérites, mais armé des vôtres, je veux entrer en lutte avec ce Maître, cet Homme, c’est-à-dire en vérité avec le Verbe éternel de Dieu. »
Luce Quenette
Itinéraires n° 143, p. 113 – 133 – Mai 1970
[1] – (1) Le X de la page 8 [sic], c’est Teilhard, bien entendu !
[2] – (1) Drumont, cité par l’Ordre Français, janvier 1970, page 49.