
« Un chrétien au moins sait que la souffrance est nécessaire car une vigne doit être taillée pour donner du fruit. L’homme aussi, cette vigne du Seigneur, doit être taillé s’il ne veut pas se disperser et s’étouffer dans un inutile et fatigant fouillis d’occupations vaines. »
Ces lignes de Marie Carré (1905 – 1984), lues dans son commentaire sur les Béatitudes (Itinéraires n° 120, septembre 1968, p. 195) sont chez notre auteur le fruit de sa propre expérience. Sans le dire, elle a souffert de ses anciens coreligionnaires car elle fut protestante avant d’embrasser la foi catholique.
Occasion m’est donc offerte pour parler un peu de cette fameuse taille si évangélique. Il en est fait mention dans les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Je suis la vigne véritable, et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il le coupe ; et celui qui porte du fruit, il l’émonde pour qu’il en porte encore davantage. »(Jn 15, 1- 2)
On pourrait s’étonner du sort fait par le Père au sarment en bonne santé : il porte du fruit, dit le divin Maître. Or le Père va l’émonder, afin qu’il porte davantage de fruit.
Cette opération peut être douloureuse. En effet le Bon Dieu veut réformer en nous ce qui n’est pas de Lui. Écoutons cette prière de saint Louis-Bertrand : « Seigneur, brûlez en moi tout ce qui m’empêche d’aller à vous, pour que vous me fassiez grâce éternellement, » et cette autre, de saint Nicolas de Flüe : « Seigneur, enlève-moi tout ce qui m’empêche d’aller à Toi ; donne-moi tout ce qui me conduira jusqu’à Toi ; prends-moi à moi et donne-moi tout à Toi. » (Père Garrigou-Lagrange OP : Les trois âges de la vie intérieure)
Reconnaissons que ces deux prières sont bien radicales : c’est la purification de l’âme qui est demandée. Le but est Dieu, il nous faut y parvenir et selon la parole de Jésus, « ce sont les violents qui ravissent le Royaume de Dieu »(Mt 11, 12). Ces violents sont doux (voir les articles publiés sur les Béatitudes), patients et miséricordieux, persévérants dans le travail de leur propre sanctification.
La taille envisagée est possible, et bienheureux sont ceux qui méditent et mettent en pratique avec zèle l’enseignement de Notre-Seigneur qui a justement commencé avec les Béatitudes, qui se poursuivent avec les chapitres cinq, six et sept en saint Matthieu. La finale de ce chapitre (Mt 7, 24 – 29) est remarquable et je vous invite à la méditer : « Ainsi donc, quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera comparé à un homme sage, qui a bâti sa maison sur la pierre. Et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison, et elle ne s’est point écroulée ; car elle était fondée sur la pierre. Et quiconque entend ces paroles que je dis et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé, qui a bâti sa maison sur le sable. Et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison, et elle s’est écroulée, et sa ruine a été grande. Or il arriva que, lorsque Jésus eut achevé ses paroles, les foules étaient dans l’admiration de sa doctrine ; car Il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme leurs scribes et les pharisiens. »
La taille, ce sont tous ces procédés dont Dieu va façonner notre âme pour la rendre plus belle et digne de Lui. Les épreuves par exemple sont variées et multiples, parfois complexes, les unes s’ajoutant aux autres (physiques : santé ; morales : peines de toutes sortes, personnelles, familiales, professionnelles), les circonstances imprévues où tout votre programme de la journée est bousculé. C’est l’ami importun qui frappe à votre porte ou vous appelle alors que vous avez un emploi du temps déjà bien organisé et chargé. Tout cela se résume en quelques mots : c’est la volonté de bon plaisir. Nous y reviendrons une autre fois.
Terminons notre propos par ce trait tiré de la vie de sainte Thérèse d’Avila. Tout commentaire, après avoir lu ce qui va suivre, me paraît inutile :
« Un jour, c’était pendant la période de ses Fondations, la grande sainte Thérèse d’Avila dut traverser un torrent débordé, l’Arlanzon.
Sa lourde voiture dévia et demeura suspendue sur l’énorme nappe d’eau bouillonnante qu’était devenue la rivière.
La réformatrice du Carmel dut sauter du carrosse, ayant de l’eau jusqu’à mi-jambes ; et comme l’âge et ses infirmités lui avaient enlevé une partie de sa souplesse, elle se blessa.
Seigneur, s’écria-t-elle, au milieu de tant de maux, celui-ci vient à point.
Une voix – c’était celle de Jésus – lui répondit :
- Thérèse, c’est ainsi que je traite mes amis.
- Ah, mon Dieu, reprit-elle aussitôt, c’est pourquoi vous en avez si peu.» (Propos rapportés en sermon par Mgr Henri Petit, Vicaire général honoraire de Genève, 1955)
Abbé Dominique Rousseau
9 novembre 2023