Note de la rédaction :

En cette octave de la Toussaint, nous proposons – en quatre parties – à la méditation de nos lecteurs un bon commentaire des Béatitudes, paru dans la revue Itinéraires (n° 120, de février 1968).

« Si le sermon sur la montagne est l’abrégé de toute la doctrine chrétienne, les huit béatitudes sont l’abrégé de tout le sermon sur la montagne », enseigne Bossuet (Méditations sur l’Évangile).

Ne peut-on pas pousser la comparaison en disant qu’elles sont le résumé de l’Évangile, comme le psaume 1 l’est des 149 qui lui emboîtent le pas : « Bienheureux l’homme qui dans la loi de Yahvé se complait, et sa loi, la médite jour et nuit. » (Ps. 1, v. 2)

Nous publions aujourd’hui le commentaire des deux premières béatitudes :

 « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux ».

« Bienheureux ceux qui sont doux parce qu’ils pos­séderont la terre ».

 

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Vie de Jésus

par Marie Carré

Les béatitudes.
(Luc VI, 17-23)
(Mat. V, 1-12)

Suivi d’une foule énorme venue de toutes les contrées voisines, et qui le suivait surtout pour son pouvoir de thau­maturge, Jésus monta sur une montagne afin de les ensei­gner. Car Jésus n’est pas venu rétablir une sorte de paradis terrestre, Il n’est même pas venu pour nous faire de la morale. Il est venu nous enseigner à aimer Dieu, et les exi­gences de cet Amour vont très au-delà d’une bonne petite morale. Il est venu nous enseigner la Sainteté et la Sainteté est très au-dessus de la simple honnêteté.

En huit phrases qui sont la Charte de Chrétienté Il va surpasser toutes les valeurs naturelles. Lui Seul sait où est le vrai bonheur, celui que rien ne peut ravir ou détruire, celui qui s’embarque dès ce monde pour une aventure éter­nelle. Cette Charte s’appelle : les Béatitudes.

La première, l’indispensable, la fondamentale, sans laquelle toutes les autres ne sauraient être pratiquées :

– « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux ».

Il est inutile de vouloir être chrétien en rejetant une partie de ce que Jésus enseigne sous prétexte que ce serait trop difficile, voire impossible. Quand Jésus donne des ordres, c’est parce que nous pourrons trouver en Lui une autre nature qui, de misérables petits grains de poussière, doit pouvoir faire de nous d’autres Christs.

Ceux qui s’effraient des exigences de Jésus ne comprennent pas qu’il n’a jamais pensé que nous y arriverions sans Lui. Son aide sera puissante, constante, admirable. Le tout c’est seule­ment de ne jamais perdre confiance. Personne ne peut dire que cela soit trop difficile.

Le fondement du changement de vie qui nous est deman­dé, c’est l’Humilité, cette vertu si décriée parce que mécon­nue. Quand le monde méprise l’Humilité, il ne méprise jamais que la fausse et ne le sait pas. Ses mépris raillent une caricature d’humilité qui diminuerait l’homme et le rendrait faible, lâche et veule. Quand Dieu nous propose une vertu, elle ne peut être une perte ou une diminution. Jésus n’a jamais vanté la stupidité d’esprit ou l’imbécillité, ou demandé de singer ces gens-là. Lui qui dira à ses Apôtres qui ne comprennent pas les paraboles : « Êtes-vous encore sans intelligence ? » n’a jamais dit de mettre l’intelligence dans les défauts à rejeter. Le défaut c’est seulement de s’imaginer qu’on est aussi intelligent que Dieu Lui-même et c’est là un défaut fort courant.

Les pauvres en esprit savent que, même avec du génie, ils ne sont Rien en face de Dieu. Les pauvres en esprit savent que, même très savants, ils peuvent avoir plus sou­vent tort que raison et que la Science est aussi le domaine de Dieu. Les pauvres en esprit savent que la Foi n’est pas affaire de vigueur d’intelligence et doit être demandée et reçue comme un cadeau inestimable et non mérité. Les pauvres en esprit savent qu’ils sont capables de tous les crimes et acceptent cette connaissance comme un état de fait commun à tous les hommes. Les pauvres en esprit savent que leur Bien vient de la grâce et leur Mal d’eux-mêmes. Les pauvres en esprit savent que leurs pensées sont sujettes à désirer ce qu’ils ne veulent pas et que leur volonté est sujette à ne pas pouvoir ce qu’elle voudrait. Les pauvres en esprit savent que la Foi est une fortune qu’il faut pro­téger. Les pauvres en esprit ne se vexent pas de ne pas être meilleurs que les autres. Les pauvres en esprit ne pensent pas que Jésus puisse avoir besoin d’eux. Les pauvres en esprit s’accrochent à la Foi des ancêtres, transmise de Pape en Pape et savent que le Saint-Esprit sera leur guide DANS l’Église. Les pauvres en esprit ne peuvent pas imaginer que les Évangiles sont livrés à l’interprétation du premier venu.

 

Les pauvres en esprit ne peuvent pas imaginer que Dieu abandonne son Église. Les pauvres en esprit savent que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » et, pour eux, aucune question ne se pose. Les pauvres en esprit préfèrent recevoir que chercher, préfèrent être enseignés que de s’interroger.

Les pauvres en esprit savent avant toutes choses que Dieu ne peut pas nous tromper et que Dieu ne peut pas nous vouloir du mal. Dans cette certitude, leur pauvreté est un enrichissement à la mesure de Dieu, à la mesure de l’infini. Les pauvres en esprit sont les riches entre les riches ; ils sont tellement riches qu’ils souffrent constam­ment de ne pouvoir communiquer cette richesse à tous les indifférents et à tous les vrais pauvres. Mais leur souffrance est encore une richesse de plus.

Cette Béatitude conditionne toutes les autres. Sans cet état d’esprit, la Foi se perd ou se trompe ou se cache. Sans cet état d’esprit la sainteté est totalement impossible. Sans cet état d’esprit l’Amour de Dieu viendra bon second, l’amour de soi tenant solidement la première place. Sans cet état d’esprit, l’Espérance même devient impossible car notre Espérance est tellement au-dessus de nos mérites qu’il faut savoir rire de soi-même pour y croire.

Mais, devant la première Béatitude, beaucoup d’hommes se cachent. Ils la lisent sur un ton mineur plein de tristesse, ils la lisent mal. Notre-Seigneur a dit : « Bienheureux » … Il n’a pas dit : Rendez-vous malheureux vous-mêmes. Ce qu’il nous propose c’est seulement de nous vider de tout ce qui nous encombre pour recevoir la très sainte Vérité et les grâces qui L’accompagnent. Il ne dit pas : Videz-vous pour rester vides. Il dit : Videz-vous pour que je vienne. Sa Béatitude n’est pas triste, elle indique où est la seule vraie joie.

Cette Béatitude rejette dans le domaine de la tristesse toute hérésie. N’est pas pauvre en esprit celui qui pense savoir mieux que l’Église. N’est pas pauvre en esprit celui qui dit : je crois ce que ma conscience m’ordonne de croire. N’est pas pauvre en esprit celui qui pense comprendre la Bible tout seul. N’est pas pauvre en esprit celui qui fonde une secte nouvelle en opposition avec la Foi de la Tradition. N’est pas pauvre en esprit celui qui s’imagine pouvoir réno­ver le monde avec des moyens humains.

 

N’est pas pauvre en esprit celui qui veut avoir raison tout seul. N’est pas pauvre en esprit celui qui entend se faire sa religion per­sonnelle. N’est pas pauvre en esprit celui qui s’indigne des crimes commis par certains chrétiens en vue, parce que, placé dans la même situation il aurait peut-être fait pire. N’est pas pauvre en esprit celui qui n’admet pas que la Vérité ne peut être qu’Unique. N’est pas pauvre en esprit celui qui prône l’irénisme car il met sur le même pied les erreurs et la Vérité révélée.

Et la première Béatitude engendre les autres :

– « Bienheureux ceux qui sont doux parce qu’ils pos­séderont la terre ».

La douceur et l’humilité sont tellement importantes en Chrétienté que Jésus dira de Lui-même :

– « Mettez-vous à mon école parce que je suis doux et humble de cœur. »

Si bien qu’une des prières les plus efficaces pour celui qui a besoin d’une aide constante dans les difficultés de cette vie et les embûches continuelles d’un mauvais carac­tère c’est : « Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre. »

Je défie qui que ce soit qui emploierait cette formule avec foi de ne pas en ressentir un grand bien-être. (Les jours où tout va trop mal, il suffit de persévérer un peu dans la répétition lente de cette toute petite phrase.) C’est là une demande que Notre-Seigneur est toujours très pressé d’exaucer.

Mais cette douceur est tout le contraire de la faiblesse. C’est pourtant la faiblesse que les autres voudraient nous voir pratiquer, la croyant tout simplement angélique. La douceur n’est pas une faiblesse, c’est une domination de soi-même. C’est donc une force qui, au lieu de s’attaquer aux autres fait éviter les excès. C’est une force beaucoup plus difficile que de dominer les autres. Mais comme elle n’est pas spectaculaire elle n’est pas très appréciée. La douceur n’est pas une lâche bienveillance pour les péchés du monde. La douceur s’attaque à nos propres péchés, dont la médi­sance n’est pas le moindre ni le plus rare. Elle s’attaque doucement, mais fermement, sachant que la sainteté per­sonnelle peut seule valoir des grâces aux autres.

(à suivre)